À l’heure du festival de Cannes et du MeeToo du cinéma, c’est au théâtre que le metteur en scène, Erwan Le Roy-Arnaud a choisi de porter la parole des femmes. Il le fait en des lieux intimistes, les maisons d’assemblée. Trois représentations de sa création baptisée justement Dans les assemblées ont lieu cette fin de semaine dans trois villages de la commune d’Yssingeaux où la Mobile compagnie (que dirige Erwan Le Roy-Arnaud) est en résidence longue (pour trois ans). Depuis quelques années désormais, la Mobile compagnie est établie à Saint-Hostien.
La première soirée (ce vendredi 24 mai à 19 h 30) à Marnhac affiche d’ores et déjà complet. Il est vrai que la petite maison aux volets mauves ne peut guère accueillir plus d’une cinquantaine de spectateurs. C’est derrière ces volets clos que les deux comédiennes répétaient ces derniers jours. Le troisième personnage de la pièce, c’est l’assemblée. Car la création théâtrale raconte aussi l’histoire de ces petites maisons construites sur deux niveaux, au rez-de-chaussée la pièce servant à l’enseignement, au premier étage l’appartement de la béate, toujours austère, à l’image de la femme qui l’habitait.
La compagnie de théâtre nous a habitués à des créations originales au sens premier du terme. Le choix se porte en général sur des textes qui n’ont pas été écrits pour la scène. On se souvient l’an dernier de Murène, d’après l’ouvrage de Valentine Goby (éditions Actes Sud) ou le parcours d’un homme pour (re) devenir lui-même. Dans Yvonne et Claudius en 2020, la pièce repose sur une correspondance durant la Seconde Guerre mondiale, l’histoire d’un amour gravé sur des centaines de lettres et de cartes postales. Erwan Le Roy-Arnaud ne cache pas son intérêt pour l’histoire et le patrimoine, d’où les lectures de documents d’archives qu’il a aussi dirigées. « Notre travail consistait à les rendre accessibles », indique l’homme de théâtre.
La rudesse de la vie d’hier et d’aujourd’huiCette démarche a trouvé un écho favorable auprès de la ville d’Yssingeaux et de son service culturel qui cherchent justement à mettre en valeur le patrimoine local. La résidence comprend une création par an, des lectures, en rapport avec le patrimoine naturel en juin, sur la vie rurale en juillet. La compagnie est invitée enfin à participer aux évènements qui rythment la vie municipale, à des ateliers en milieu scolaire et autres.L’assemblée de Marnhac, lieu de la première représentation.
« Mon écriture a évolué. Au début, je voulais tout dire, ne rien oublier de l’histoire des béates », confie Erwan Le Roy-Arnaud qui est pourtant parvenu à s’en détacher. Le pouvoir des mots et la fiction sont immenses. Qui pourrait en douter. L’histoire commence un soir, quand une jeune femme se réfugie dans une maison d’assemblée sans savoir où elle est. D’où vient-elle ? Que cherche-t-elle à fuir ? Une béate tout de noir vêtue et non son fantôme apparaît alors. La notion de temps est abolie. Le dialogue se noue entre ces deux femmes que rien a priori ne rassemble. À des années de distance, l’histoire de l’une éclaire celle de l’autre. « J’ai voulu un aller-retour entre l’histoire des béates, des assemblées, la position de la femme dans les siècles passés et de nos jours », commente le metteur en scène. Hier la Terreur (durant la Révolution française) où la béate risquait de monter à l’échafaud et aujourd’hui… Les violences sexistes et sexuelles dont sont victimes les femmes. Et si l’histoire balbutiait. « La pièce permet de comparer la rudesse de la vie d’aujourd’hui à celle d’hier. On croit vivre des avancées qui ne le sont peut-être pas. Le spectacle est loin de toute revendication féministe », précise Erwan Le Roy-Arnaud qui ajoute : « Les béates sont des femmes à la fois très dépendantes des habitants, du curé, du maire, de la mère supérieure, de la congrégation. Dans une société patriarcale elles ont en même temps une grande liberté et une place centrale dans le village ».
La préparation du spectacle aura réclamé pas loin d’un an et demi de travail au metteur en scène qui a lu beaucoup, visité des maisons d’assemblée, « pour s’imprégner » avant d’en arriver à l’écriture, « pour trouver les termes justes ». Les dernières répétitions ont permis de faire quelques ajustements de manière à ne jamais tomber dans le récit historique.
Carole Gentil joue le rôle de la béate et Sophie Arnulf celui de la visiteuse du soir. La première a signé entre autres, la mise en scène du spectacle Murène. Sophie Arnulf et Erwan Le Roy-Arnaud ont déjà, eux aussi, travaillé ensemble, notamment pour la visite historique et théâtralisée de l’hôtel du département, il y a quelques années. « Toutes deux ont cette énergie, un peu revêche, et ce répondant qui rendent les dialogues percutants. La béate, est une femme du XVIIIe siècle. La jeune femme n’est pas du tout dans le même respect des aînés et des institutions », analyse le metteur en scène.
Le spectacle sera rejoué le 13 septembre dans l’assemblée de la Bastide à Retournac puis à nouveau les 27, 28 et 29 septembre à Saint-Germain-Laprade. Et pourquoi pas par la suite dans d’autres localités ? Il a été recensé pas moins de 70 communes en Haute-Loire possédant une maison d’assemblée susceptible d’accueillir des évènements. Avec Dans les assemblées c’est vraiment la marque de fabrique de La Mobile compagnie qui s’exprime : amener le spectacle vivant au plus près des gens. Le spectacle Dans les assemblées est pour le moins original, tant par le thème qu’il développe, la condition des femmes, que le lieu des représentations, les maisons de béates, au cœur des villages. La Mobile compagnie joue à Marnhac, Les Margots et la Chazelie (Yssingeaux).
Philippe Suc
Le musée des dentelles de Retournac célèbre les béates
En parcourant les maisons d’assemblée au musée.Les béates parlent en général au cœur des Altiligériens. Au musée des manufactures de dentelles de Retournac, une exposition temporaire Maisons d’assemblée, lieux de vie au cœur de nos villages (jusqu’au 14 décembre 2024) retrace le rôle social joué dans l’Yssingelais et le Velay par ces femmes pieuses durant plus de 200 ans.
La plupart des béates relevaient de la congrégation des Demoiselles de l’instruction fondée au XVIIe siècle par Anne-Marie Martel. Elles faisaient la classe dans les villages et enseignaient aussi la dentelle aux jeunes filles. Les fabrications servaient pour l’autel durant le Mois de Marie. Les dentelles pouvaient aussi être vendues au Puy, une fois pas an à l’occasion de la retraite annuelle des béates.
Une loi de 1904 devait leur interdire d’enseigner à moins de devoir se former. Les béates représentent une spécificité de la Haute-Loire. On en dénombrait 1.100 en 1854 et une petite quarantaine encore en 1937, alors même que la loi Combes avait été promulguée 33 ans plus tôt.
Photos, objets, panneaux divers composent l’exposition où il est beaucoup question des maisons d’assemblée que nombre de villages ont conservé et restauré, pas toujours de manière heureuse d’ailleurs, mais ces petites bâtissent au cœur des hameaux rythment encore la vie villageoise, même si les cloches qui surmontent leur toiture n’annoncent plus les décès comme jadis.
Les maisons d’assemblée ont connu des destins divers. Quelques-unes ont été transformées en écoles publiques, certaines ont été détruites ou vendues à des particuliers. Sur les vingt maisons de Retournac, pour prendre cet exemple, peu d’entre elles subsistent encore. Dans celle de la Bastide, la Mobile compagnie donnera son spectacle le 13 septembre à 20 heures.Gouache d’Eugène Villon au musée Crozatier.
Les associations des villages de la Bastide, Jussac et Saint-Ignac, mais aussi le musée de la béate de Sainte-Sigolène, Auguste Januel, Georges Perru (présent au musée de Retournac le 19 septembre à 18 heures) pour animer une conférence, ont apporté leur contribution à la création de l’exposition temporaire.
Contributions encore du musée Crozatier du Puy et des Archives départementales. Le 13 juillet (14 h 30) au musée de Retournac toujours, il sera question encore des maisons d’assemblées avec Marie-Laure Monfort, chercheuse au CNRS et sœur Anne-Elisabeth. Le travail de cette dernière, membre de la Communauté des Diaconesses de Reuilly a abouti à la rédaction de deux tomes de deux volumes chacun, intitulés Les béates et les maisons d’assemblée dans le département de la Haute-Loire, édités en 2015 et 2022.
Autres rendez-vous au muséeLe musée Crozatier propose des ateliers de gravure sur bois pour fabriquer sa propre planchette de dentellière, le dernier samedi de chaque mois à 14 h 30 et tous les mardis de juillet et août à 14 h 30. Participation 8,50 €.
Un couvige de dentellières et une exposition de dentelles et vente de matériel aura lieu le 5 octobre de 9 à 18 heures. Participation 3,50 €
Trois représentations cette semaine et d’autres à venir À la manière des béates, ces femmes pieuses, envoyées dans les villages qui en faisaient la demande afin d’instruire les enfants, le metteur en scène de la Mobile compagnie, Erwan Le Roy-Arnaud (notre photo) va de hameau en hameau présenter sa dernière création.La pièce Dans les assemblées, d’une durée de 55 minutes est écrite et mise en scène par Erwan Le Roy-Arnaud. À Yssingeaux, les représentations ont lieu vendredi 24 mai à Marnhac (complet), samedi 25 mai aux Margots (16 heures), dimanche 26 mai à La Chazelie (16 heures).Entrée : 15 euros (adultes). Préréservation à l’Office de tourisme des Sucs au 04.71.59.10.76.Comédiens : Sophie Arnulf, Carole Gentil. Conception Dame-Jeanne et conseiller lumières Christophe Laurent. Costume de la béate : Claudette Arnaud. Coproduction : La Mobile compagnie et la ville d’Yssingeaux, dans le cadre de la résidence Patrimoine 2024-2026. Aide à la création : Région Auvergne-Rhône-Alpes et Département de la Haute-Loire.