Il voulait voir autre chose. Quand ce surveillant de la maison d’arrêt d’Aurillac a décidé d’enchaîner les formations pour pouvoir réaliser les extractions judiciaires, « cela faisait plusieurs années que je faisais de la détention, c’est fatigant à force. À l’époque, on ne pensait pas aux risques, mais depuis mardi, tous les surveillants qui font les extractions réfléchissent… »
À la maison d’arrêt d’Aurillac, il fait partie des Équipes locales de sécurité pénitentiaire (ELSP). Ces hommes-là travaillent à l’intérieur, auprès des détenus, mais peuvent porter une arme dehors et les accompagner au tribunal, à Aurillac ou même plus loin.
Ce sont des journées particulières, très longues, passées à encadrer un homme qui doit voir le juge d’instruction ou comparaître, dans un milieu ouvert où ils sont vulnérables.
C’est dans ce cadre, mardi, que deux surveillants ont été tués dans l’Eure, sur le trajet entre le tribunal et le lieu de détention. Le type de mission qu’il réalise plusieurs fois par semaine, à Aurillac ou en renfort sur l’ensemble de la Direction interrégionale des services pénitentiaires de Lyon.
À Aurillac, trois agents – ils devraient être cinq mais l’administration peine à recruter – font ce travail particulier. Ils demandent notamment, à l’instar de leurs collègues de toute la France, des véhicules mieux équipes et banalisés. Amené à partir seul sur la route pour rejoindre ses collègues à Riom, au Puy ou Moulins, l’agent s’inquiète :
Avec le véhicule sérigraphié, on a une cible dans le dos. Régulièrement, on a des automobilistes qui nous font des doigts d’honneur, on n’est pas appréciés
Localement, il note que le tunnel, pourtant construit entre le tribunal et la maison d’arrêt, est toujours inutilisable et les force à sortir avec le détenu à l’extérieur. Dans les palais de justice, le réseau pour les téléphones portables manque souvent. Cela pose un problème de sécurité s’il doit donner l’alerte.
Enfin, pour les extractions médicales, si l’équipe qui accompagne le prisonnier n’est pas totalement formée, il n’a pas le droit de prendre son arme sur lui. « C’est pourtant dans ces cas-là qu’ils sont vulnérables… », souffle Pierre Simoes, délégué syndical (SPS).
Viennent s’ajouter, enfin, tous les éléments qui font que les prisons françaises sont malades. La maison d’arrêt d’Aurillac est en surpopulation carcérale, 93 détenus au lieu des 72 prévus et autant de raison d’avoir des hommes tendus à extraire et à encadrer.
Les mêmes problèmes qu'ailleurs en France« On n’échappe pas aux téléphones et à la drogue en détention, soupire Pierre Simoes. On n’a plus le droit de fouiller systématiquement un détenu après un parloir, il faut une suspicion particulière ou un ordre d’un officier. » Il n’y a pas de brouilleurs, car cela pose des problèmes de sécurité pour les surveillants.
Des voix avancent que les téléphones permettent de garder les détenus tranquilles, voire de surveiller leurs communications. Le surveillant de l’ELSP souffle : « Cela nous met vachement en difficulté. Ils sont au courant des extractions, ils peuvent communiquer des informations avec l’extérieur… »
À Aurillac, la maison d’arrêt est solidaire et a tenu à le montrer. Depuis mercredi 15 mai, elle est en mode « prison morte » : à part un minimum de surveillants pour assurer la détention et l’infirmière, rien ne rentre ni ne sort.
Jeudi, « les syndicats ont refusé catégoriquement la proposition du ministère », décrit Pierre Simoes. L’intersyndicale locale (FO-UFAP-SPS), soutenue également par la CGT, penchait pour continuer le mouvement. C’est tous les surveillants qui devraient encore se montrer devant la maison d’arrêt dans les jours à venir. Une présence à l’extérieur qui est rare pour la plupart, en soutien à ceux qui doivent se rendre dehors régulièrement, dans le cadre de leurs missions.
Pierre Chambaud
