Son atelier est situé au cœur de la cité médiévale, en dessous des remparts. À l’ombre de la rue Lasteyras, Benjamin Laraud travaille en musique. Vivaldi ou Rammstein, "tout dépend de l’humeur", mais ce jour-là, c’est rock’n’roll. Un peu moins d’une semaine avant Coutellia, l’artisan s’active pour achever la quinzaine de couteaux qu’il présentera au public ce week-end pour sa deuxième participation au salon. "Cette période, c’est un marathon. On prépare l’événement depuis plusieurs semaines, sans week-end et sans jours fériés. Pour nous, c’est une belle vitrine", confie-t-il en allumant une cigarette au chalumeau.Benjamin Laraud est installé depuis un an dans son atelier de la rue Lasteyras, à Thiers.
Des jeunes d'ici ou d'ailleursEntre deux inhalations de fumée, le trentenaire raconte son parcours. Celui d’un enfant bourguignon né à Vézelay qui emménage à Thiers à l’âge de 21 ans pour intégrer le centre de formation en coutellerie. "C’était la seule voie que j’imaginais. J’ai toujours eu un couteau dans la poche, c’est un objet qui m’attire depuis très jeune."
Comme c’est en forgeant que l’on devient forgeron, après l’obtention de son CAP, il exerce dans les entreprises thiernoises pendant huit ans, chez Fontenille-Pataud ou à l’Atelier CRT. "Puis, je me suis dit “si je peux le faire pour les autres, je suis capable de le faire pour moi”." En janvier 2023, Benjamin Laraud crée une société à son nom. "Je projetais de me mettre à mon compte depuis le centre de formation, mais je ne pensais pas le faire à Thiers, rigole-t-il. L’adaptation a été difficile, mais c’est une ville attachante. Et puis, les fabricants de toutes mes pièces sont dans le bassin, jusqu’à la pochette en cuir."
Depuis 10 ans, 25 nouveaux couteliers sur le territoireBenjamin Laraud est le profil type de cette génération prête à perpétuer la tradition de la coutellerie d’art thiernoise. Avec lui, on peut citer Romain Alvarez, Pierre Thomas ou Tim Bernard. Chacun dans son style, les couteliers fabriquent des modèles en solo qui sont expédiés partout dans le monde. "Depuis dix ans, près de 25 nouveaux couteliers se sont installés sur le territoire, souvent d’anciens apprentis", chiffre Marc Blettery, président de la Confrérie du couteau Le Thiers. Il y a une quinzaine d’années, l’organisation s’inquiétait pourtant d’une baisse de régime.
"On voyait des entreprises qui avaient du mal à trouver repreneur et des amateurs vieillissants. Aujourd’hui, de plus en plus de trentenaires passionnés se promènent sur les salons."
Du côté du centre de formation, la directrice Pascale Hermillon constate le même intérêt grandissant des jeunes pour la discipline depuis une dizaine d’années. "À chaque rentrée, on reçoit des centaines de candidatures. L’attrait pour les travaux manuels revient depuis le Covid, les entreprises sont de plus en plus demandeuses de main-d’œuvre et le monde de la coutellerie communique mieux", analyse-t-elle.
Un centre de formation porteurLa formation en coutellerie de niveau CAP existe depuis 1985 à Thiers. Portée à l’origine par la Chambre des métiers, elle est délivrée par le centre de formation depuis 1992. En France, il en existe une autre à Barbezieux et une à Laguiole depuis l’an dernier. "La plupart des jeunes intéressés ne sont pas originaires du territoire et beaucoup sont attirés par la coutellerie d’art. Mais on leur présente aussi les difficultés, parce que vouloir fabriquer des couteaux, c'est bien, mais en vivre, c’est mieux. Certains restent donc salariés dans les entreprises thiernoises et y trouvent leur compte", rapporte Pascale Hermillon.
Rallumer l'étincelle de la tradition coutelièrePour Raphaël Durand, coutelier installé à Thiers en 2006, l’arrivée de ces jeunes chefs d’entreprises sur le marché rallume l’étincelle de la tradition coutelière.Raphaël Durand, coutelier installé à Thiers depuis 2006
"C’est tout un monde qui s’adapte à un œil neuf, à de nouvelles inspirations, formes et donc de nouveaux matériaux. Ça permet aussi aux anciens de se remettre un peu en question."
Le professionnel aguerri observe une profession en mutation, moins individualiste. "Quand je suis arrivé de Lyon en 2006, l’ambiance était plus mystérieuse entre les anciens. Maintenant les jeunes partagent leur recette, il y a une solidarité évidente entre eux."
Installé dans son atelier le long de la Durolle, Raphaël Durand prépare aussi son stand pour Coutellia. Et les années d’expérience n’empêchent pas le stress à l’approche de l’événement. Ici, la musique est plus soul, mais le son n’est pas moins fort. "C’est toujours une grande fête et l’un des moments les plus importants de l’année à Thiers."
Coutellia 2024. Festival international du couteau d’art et de tradition. Rendez-vous le samedi 18 mai, de 9 heures à 18 heures et le dimanche 19 mai de 10 heures à 18 heures, avenue du Progrès à Thiers. Tarifs : 10 € par personne pour une journée (gratuit pour les -15 ans) et 15 € les deux jours. Restauration sur place.
Angèle Broquère