Entre l’association Peuple et Culture et la mémoire des événements du 9 juin 1944, c’est une longue histoire.
Qui a commencé cinquante ans après les faits. « En 1994, l’équipe en place n’a pas directement connu la guerre, mais elle reste très sensible à ces événements, se souvient Manée Teyssandier, l’une des membres du collectif. On connaissait des listes de noms, mais pas leurs visages. À part les familles des victimes, qui les connaissaient ? Il fallait essayer d’aller au-delà des cérémonies traditionnelles pour les faire connaître. »
C’est son frère, Patrick qui prend les commandes d’une quête qui durera plusieurs décennies. Il rencontre toutes les familles et recueille une soixantaine de photographies, qui deviendront la fameuse affiche de Ramon. Et un premier film, La mémoire des vivants, réalisé par Jean Pradinas.
Témoignages de confiance« Ce n’est pas un grand film, mais il porte bien son nom, parce qu’il y a tous ces souvenirs de témoins encore vivants à l’époque, quelques-uns terribles, dont celui de M. Neyrat, qui fut forcé de regarder l’un de ses fils être pendu. »
« De ces contacts établis avec les familles, ce lien de confiance qui s’était créé, des retours de soulagement aussi que nous avons reçus à la sortie du film, on a compris que la chape de plomb qui pesait depuis 50 ans pouvait se lever, que d’autres choses pouvaient advenir, avance Manée Teyssandier. Nous ne sommes pas des historiens, mais nous avons des contacts avec des artistes. Notre idée, c’était de leur faire part de cette histoire et de leur demander de créer. »En 2004, le livre blanc de PEC compulse photos et biographies des martyrs du 9 juin.
« Dès le début, admet-elle, on a outrepassé les habitudes mémorielles. Ce qui nous a rassurés, ce sont les réactions des familles après la publication de l’affiche de Ramon. Ça nous a donné la confiance d’oser. Depuis, on se permet tout ce qu’on peut dans la limite de notre imagination. C’est pour cela qu’on s’adresse à des artistes, pour dépasser nos propres capacités. »
Pourquoi la sensibilité de Peuple et Culture à l’occupation ou l’oppression ? C’est peut-être lié à la naissance du mouvement, dans les maquis du Vercors. « Une poignée de personnes, des maquisards et des légaux, ont fondé des équipes volantes, raconte Manée Teyssandier. Elles allaient de maquis en maquis pour apporter une forme de culture, littérature, philosophie, chansons, théâtre, en français et en allemand ; ils organisaient des veillées. » « À la Libération, ils ont pris contact, à Grenoble, avec un cercle ouvrier nommé Peuple et Culture. L’idée, c’était de fonder un mouvement national. Dès 45, ils ont publié leur manifeste “La culture au peuple et le peuple à la culture”. Forcément, il reste une préoccupation face à l’occupation nazie et à toute occupation ».En Corrèze, le mouvement fait souche en 1951, sous l’impulsion d’un jeune instituteur, Roger Eymard, et quelques autres. « Ils étaient très marqués par la Résistance et les camps de réfugiés espagnols, précise Manée Teyssandier. Par leur histoire personnelle aussi ; le père de Roger Eymard était gendarme pendant la guerre, avant la rafle de Meymac, il avait averti des juifs pour les protéger, il avait été suspendu pour cela. »
Des créations mémorielles multiformesCe travail de mémoire original prend, au fil des années, des formes multiples. « Par le cinéma ou l’art, c’est toute la part sensible des conséquences de ce massacre qui peut être touchée », commente la bénévole. L’exposition In Memoriam de Cueco et Balmes à l’église Saint-Pierre, en 2004, avec édition d’un portfolio spécial à l’Artothèque. Un DVD, en 2006, qui décrypte plus de quatre heures de témoignages des événements. « On a demandé à des personnes de toutes les générations de lire ces textes. C’est parfois maladroit, mais toujours plein d’émotion », apprécie Manée Teyssandier.
L'affiche de Ramon, éditée en 1994.
Il y aura aussi une exposition de photos en 2001, l’édition, en 2004, du livre blanc qui présente chacune des victimes du 9 juin 44. La plantation de la Forêt du Souvenir encore, dès 1994. « Sur une idée de Cueco, ce sont les enfants qui l’ont plantée. Et pendant un temps, on l’a oubliée. Celle qui nous a secoués, c’est une Allemande, Iris Bugl, qui était très sensible à cette question. »
Commémorer autrementEn 2018, PEC se réapproprie donc le lieu, près des jardins ouvriers de l’Auzelou, avec l’aide des écoliers. « Ce n’est pas en les obligeant à aller à des commémorations que les enfants vont investir la mémoire du 9 juin, mais en faisant autre chose. » Des portraits grand format des martyrs, leurs yeux stylisés par l’artiste Fabienne Yvert, des bancs pour s’y recueillir en 2020. « Cette forêt est idéale, c’est le lieu pour faire des choses librement. »Première cuisson des oiseaux en porcelaine, 140 unités sont prêtes à être installées chez des particuliers et dans la Forêt du Souvenir.
Cette année, ce sont des oiseaux en porcelaine que des écoliers, collégiens et lycéens, viendront déposer au pied des arbres ; des oiseaux qu’ils ont peints et moulés avec les artistes Matéo Clausse et Shuling Liu. « Se tourner vers les enfants, c’est un peu la nouvelle orientation de Peuple et Culture. C’est ça, l’avenir de ce travail de mémoire. »
« On aimerait aussi valoriser autrement la Forêt du Souvenir. Qu’elle devienne un lieu de mémoire et de recueillement, pas à l’égal du Haut lieu de Cueille, mais un deuxième lieu. Mais pour ça, il faut une signalétique. Ça viendra… »
En 2011, Dominique Albaret reprend le flambeau de Patrick Teyssandier et réalise plusieurs films avec des témoignages de familles et de résistants notamment. « Ça éclaire les événements pour que les gens puissent se faire leur idée de ce qu’il s’est passé. Cela ne sert à rien d’asséner des vérités. On n’a jamais écrit blanc ou noir, parce qu’on n’en a pas la légitimité. Mais on a réagi parfois à certains propos. Qu’il y ait eu ou pas de la résistance, il y a eu des massacres ; on a essayé de faire connaître tout le cheminement de la Das Reich. »
Plus récemment, PEC a « fait un pas de côté par rapport aux événements », avec un travail sur les guerres d’Indochine ou d’Algérie racontées par des membres de familles de martyrs. « Ça a secoué un peu, reconnaît-elle, mais c’était très riche. Ça nous interpellait sur la question de l'Occupation. »
Blandine Hutin-Mercier
