Malgré le triomphe de Tutu, son dernier spectacle, Philippe Lafeuille n’a rien perdu de son envie de nous transmettre sa passion : la danse. Avoir la chance d’échanger avec lui, laisse le goût d’une douce amertume. Celle d’une parenthèse de poésie qui passe malheureusement trop vite.
Votre spectacle est-il réservé aux amateurs de danse contemporaine??
Je m’adresse à tout le monde, notamment aux gens qui sont très éloignés de la danse. Mon projet artistique est d’amener la danse partout. Je dis danse et pas danse contemporaine, qui peut être vue comme très intellectuelle et destinée à une certaine élite snob et parisianiste. Je fais de la danse facile d’accès, déjà parce que l’humour, qui est une arme de séduction massive, a une large place dans mes spectacles. J’essaye de décoller les étiquettes car l’important c’est que le public passe un bon moment.
« J’aime tourner en région, où pour le public venir au spectacle est encore une fête »C’est la première fois que vous allez présenter une de vos œuvres en Creuse??
Oui et je suis ravi de venir à Guéret. J’aime tourner en région, où pour le public venir au spectacle est encore une fête. À la campagne, des gens peuvent se dire que le théâtre n’est pas fait pour eux car ils n’ont pas les codes. Je fais exprès de ne pas mettre de références dans mes spectacles pour ne pas les rendre inaccessibles. C’est la curiosité qui doit guider le spectateur. Après ils peuvent aimer ou non. C’est comme pour un tableau, mais il ne faut pas avoir peur de se dire que ce n’est pas pour moi.
Comment résumer A4, votre nouveau spectacle??
C’est un spectacle à sketchs avec des scènes qui n’ont pas obligatoirement de lien entre elles, et dont le fil conducteur pourrait être le chiffre 4 ou la feuille A4. Je regroupe quatre artistes avec quatre parcours différents : le cirque, le hip-hop, le théâtre et la danse contemporaine. Ils sont réunis autour de la danse, mais aussi de la poésie, du jonglage, et de l’humour.
« J’essaye de proposer des bulles de réjouissances qui apportent un peu de lumière aux gens »Votre précédent spectacle a connu un énorme succès, vous avez une pression particulière pour A4??
Même si plus d’un demi-million de spectateurs ont vu Tutu, je n’ai pas la clé du succès. C’est le public qui décide toujours. Je suis obligé de vendre des spectacles qui nous font vivre avec les danseurs. D’autant plus que je ne suis pas subventionné, car je veux rester indépendant. Ce sera notre septième représentation d’A4 à Guéret depuis le début de la tournée, et pour les six premières, nous avons eu six standing ovations, j’en suis ravi.
Qu’est-ce qui vous pousse à créer??
J’aime proposer des spectacles qui font du bien. À partir du moment où les gens sortent à la fin du spectacle avec le sourire, j’ai rempli mon contrat. Je travaille pour le public et il me le rend bien, car il est toujours au rendez-vous. Pendant le Covid on a vu que la culture n’était pas essentielle. C’est vrai, il est plus urgent de manger, dormir, ou avoir un toit, la culture vient après. Mais je défends tout de même le spectacle vivant. Le monde s’obscurcit, la guerre est à nos portes, j’essaye de proposer des bulles de réjouissances qui apportent un peu de lumière aux gens.
Qu’est-ce qui vous inspire??
Tout m’inspire. J’aime l’architecture, la mode ou la musique qui est une grande source d’inspiration. Les artistes avec qui je travaille sont aussi essentiels. J’emmagasine tout comme un ordinateur. Au moment de créer, je ressors ces images. D’où ça vient je ne sais pas, c’est comme ça, c’est instinctif. Cela peut arriver à New York, Tokyo ou Guéret, il n’y a pas d’endroit défini, c’est une émotion qui résonne en moi.
Comment la danse est entrée dans votre vie??
Quand j’étais petit, je voulais être marionnettiste. Maintenant je tire un peu les ficelles en étant chorégraphe et metteur en scène, finalement je ne m’étais pas trop trompé. J’ai commencé à faire de la danse par hasard. Quand j’avais 14 ans, ma mère m’a emmené voir un spectacle de Maurice Béjart. Cela a été un très grand déclic, j’étais très déterminé. Et depuis je continue à faire ce que j’aime. Je pensais que j’étais un bon danseur, pas très créatif. La vie par hasard m’a amené à créer des choses.
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La transmission de votre passion semble essentielle pour vous??
C’est la raison pour laquelle je fais une masterclass à Guéret. J’ai toujours la volonté de tendre la main vers des publics très éloignés de la danse au travers notamment d’ateliers dans les écoles, les crèches, ou les entreprises. Je suis un utopiste. Je pense que si le monde entier dansait, on irait tous beaucoup mieux.
« Nous oublions que notre corps est un outil très puissant »À quoi ressemble une masterclass avec vous??
Je ne donne pas de cours de danse, je fais un atelier chorégraphe amateur. Je pousse les danseurs dans leur créativité. À Guéret, nous allons essayer d’aller plus loin que le cours de danse amateur qu’ils font une à deux fois par semaine, et se rapprocher d’un travail plus créatif comme s’ils étaient des danseurs professionnels. Nous allons travailler ensemble pour qu’ils sortent de leur zone de confiance.
Tout le monde peut danser??
Évidemment?! Car tout le monde à quelque chose à dire. Si vous marchez, vous pouvez danser. Il y a bien sûr des personnes plus douées que d’autres. J’aime beaucoup travailler avec des gens qui ne pensent pas être capables de danser. Je leur démontre que c’est possible. Nous oublions que notre corps est un outil très puissant. Il peut exprimer des choses, évacuer des tensions, des émotions. Le corps permet le partage avec les gens au-delà de la danse et du spectacle.