Ils ont encore tous en mémoire, ce moment où…
"J’étais pas loin, je travaillais avec mon fils, on faisait des clôtures. Je lui ai dit : “Faut qu’on se dépêche, l’orage arrive”. On voyait que ça montait un peu noir. Mon fils a senti qu’il se passait quelque chose, d’ailleurs il a fait des photos. Et puis, on a vu partir ces tôles. Des grandes tôles de deux mètres qui volaient et qui finissaient pas plus grandes que des cartes à jouer. Et quand je suis remonté et que j’ai vu ce bourg jonché de tout… »
Jean-Claude Moreau n’a rien oublié de ce 9 mars 2023. De ce paysage de désolation après la tornade qui a ravagé ce coin du sud-est creusois en fin d’après-midi. Personne, ici, n’a oublié ces images-là, même si le temps a fait son œuvre sur les toits des maisons.
Le temps a fait son œuvre sur les toitsDans l’épicerie du village, Cécile Peyne confirme : « Les gens en parlent moins. C’est bête à dire mais toutes les réparations sont faites, à part sur certaines résidences secondaires, sinon il n’y a plus vraiment de traces, les toits sont propres donc quand il n’y a plus rien qui rappelle ce traumatisme… ».
C’est vrai. Dehors, tuiles et ardoises neuves ont remplacé les bâches, effaçant les derniers vestiges d’un paysage de désolation. Oui, sauf que dans les mémoires, le temps est plus long à faire son œuvre. Dans son magasin, où les travaux de toiture ont été définitivement achevés il y a deux mois, Cécile Peyne n’a pas oublié ce moment où.
"Moi, la première image qu’il me reste, ce sont ces tôles qui rasaient le sol et les bâtiments. C’était ça le plus impressionnant. Ici, il y avait un gamin qui s’apprêtait à sortir et c’est un client qui l’a rattrapé par le col comme s’il avait eu une intuition parce que, nous, à ce moment-là, on ne voyait que la grêle. Et après, tout s’est mis à voler. Tout le monde a entendu le bruit, c’était assourdissant mais on était tellement happés, sidérés par ce qu’on voyait que notre cerveau a bugué, je crois."
La sidération. Pour tous. Mais il a bien fallu passer outre et vite pour ceux qui ont dû gérer, immédiatement, la catastrophe.
Un formidable élan de solidarité encore dans les mémoires« J‘ai récupéré un télescopique chez moi pour dégager la rue et tout de suite, on a fait le point pour voir s’il n’y avait pas de blessés, reprend le maire. Les services de l’équipement ont un dépôt ici et on a une caserne de pompiers à Pontarion, donc, tout s’est mis en place spontanément, tout le monde s’est porté volontaire tout de suite. Le soir même, il y avait du monde pour aider. Ce qui fait que, déjà le lendemain matin, beaucoup de choses avaient été faites. » C’est ce qu’en retient d’ailleurs Jean-Claude Moreau : ce formidable élan de solidarité. C’est ce qui l’émeut encore aujourd’hui quand il raconte « tout le travail des uns et des autres, tous ces gens qui se sont mobilisés spontanément », ôtant ses lunettes pour s’essuyer les yeux.
Et dans ces uns et ces autres, il y a Manuella, la secrétaire de mairie.
"Moi, je venais d’arriver sur Guéret ce soir-là quand une collègue m’a appelée : “Il faut que tu viennes, Pontarion est dévastée”. Je ne comprenais pas. En plus, quand j’étais partie de la mairie de Pontarion, il y avait encore un beau ciel bleu. Et puis quand je suis revenue, ça m’a bouleversée. Ça fait dix-huit ans que je travaille ici. Je pleurais, j’avais ce sentiment d’impuissance de ne pas pouvoir aider. Et puis je me suis dit qu’il fallait que je sois là. Que je donne tout le temps que je pourrais donner."
« On était bien aidés et accompagnés par les services de l’État, la gendarmerie, les pompiers…, reprend-elle. À aucun moment, je ne me suis sentie seule. Après la tornade, mon métier a consisté à aider les gens dans toutes leurs démarches et c’est normal. Financièrement, pour certains – je pense à ces anciens qui n’ont pas une retraite mirobolante – c’est toujours compliqué : on est dans un secteur inscrit, il faut remettre telles tuiles sur le toit, ça coûte. »
Et ce coup de foudre au milieu de la tornadeAutour de Pontarion, dans les villages et bois alentour, le paysage en témoigne encore aujourd’hui, ici et là : la tornade n’a pas touché que le bourg. « Enfin, le travail sur les toits va bientôt être fini », témoigne Bernard Couffy. Cet agriculteur installé à La Chaize a vu une grande partie du toit de son bâtiment de stockage soufflée par des vents à plus de 200 km/h et la moitié de sa grange découverte. Surtout, c’est dans son troupeau que se trouvait l’unique bête tuée par la tornade : « Elle était dans un champ avec les autres mais elle s’était mise à l’abri dans le bois à côté ». Aujourd’hui, cet éleveur garde bien sûr en mémoire cet évènement « inimaginable ici ».
"Il manque beaucoup d’arbres dans les bois. Il faudra bien quelques années pour oublier tout ça. Et moi, j’ai besoin de passer à autre chose. De tourner cette page. Ça aurait pu être bien pire."
Oui, un an après, on a pris du recul. « Quand ça arrive, on se dit que c’est la plus terrible des catastrophes et puis après, quand on voit ce qu’il se passe ailleurs…, reconnaît le maire. Regardez ces gens touchés par des inondations qui n’en finissent pas. » Et puis, dans chaque catastrophe, il y a ces beaux moments de solidarité que chacun ne manque pas de rappeler. Et puis aussi, ces belles histoires dont le hasard a le secret. « Moi, ce que je veux dire, c’est que cette tornade a changé ma vie, lâche Manuella dans un large sourire. Dans la tornade, il y a eu un coup de foudre : j’ai rencontré mon amoureux. »
Séverine Perrier