Des pistachiers plantés pour empêcher le Roussillon de se "transformer en désert"

«On ne peut pas laisser notre territoire se transformer en désert avec des agriculteurs qui ne peuvent plus rien y produire », lance Myriam Levalois, coordinatrice de l’association Avenir productions agricoles résilientes méditerranéennes (Aparm), basée à Saint-Paul-de-Fenouillet (Pyrénées-Orientales), à 40 km à l’ouest de Perpignan. Utiliser le terme de désert pour le Roussillon n’est pas une exagération méridionale.

Quand on regarde depuis Perpignan les images d’inondation dans le Pas-de-Calais ou dans le Poitou, cela semble se dérouler sous d’autres latitudes. En 2023, il n’est tombé que 245 mm de pluie autour de Perpignan. Soit deux fois moins que les normales, enregistrées ces dernières décennies (557 mm par an en moyenne). Les records d’aridité tombent et c’est ce « non-cumul » de pluie qui devient critique : « -23 % de précipitations en 2021, -45 % en 2022, -52 % en 2023 autour de Perpignan », relèvent désespérément les météorologues.

Neige en montagne : des chiffres qui donnent le vertige

Dimanche 4 février, le mercure a atteint 27,5 °C à Céret. L’arrivée anticipée du printemps fait fondre le peu de neige qui saupoudre le Canigou et les Pyrénées catalanes. Pas de quoi regonfler les rivières et les réserves d’eau en aval. S’ils ont pu encore faire une vendange correcte en 2023, les viticulteurs de la région des Fenouillèdes broient du noir. Les sols sont déjà aussi secs qu’en plein mois d’août.

« La vigne s’épuise, elle est en train de mourir. On ne sait même plus comment la tailler tellement les sarments sont petits

», décrit Myriam Levalois. Cela fait plusieurs années que cette agent de développement accompagne les agriculteurs sur les questions de « résilience ». Ce mois de février a été marqué par la première plantation d’envergure de pistachiers dans les Pyrénées-Orientales. L’Aparm, qui associe des agriculteurs et des élus, teste sur une douzaine d’hectares plusieurs variétés et combinaisons avec des porte-greffes sur des exploitations et sur des parcelles mises à disposition par des communes.

L’acclimatation du pistachier est facilitée par l‘existence d’une souche sauvage dans la garrigue qui assure le rôle de porte-greffe (Photo Valentine CHAPUIS / AFP) Mais pourquoi les pistaches ? « Cela fait au moins quatre ans que nous nous intéressons au pistachier en raison notamment de sa floraison en avril, qui lui permet d’être épargné par les gelées tardives, mais trois années de sécheresse consécutives lui donnent encore plus de pertinence. » Le pistachier se contente de « 200 à 250 mm de précipitations annuelles », précise la coordonnatrice de l’Aparm. C’est précisément ce qui est tombé sur Perpignan en 2023.

L’acclimatation est facilitée par l‘existence d’une souche sauvage dans la garrigue qui assure le rôle de porte-greffe : le pistachier térébinthe « pousse à même la roche et a une racine pivot très puissante, qui va chercher ce dont à besoin la plante à 25 mètres sous terre ». Les pionniers catalans devront quand même arroser leurs jeunes plants durant trois ans et être patients : « les premiers fruits n’arrivent qu’au bout de sept ans », avertit Myriam Levalois. L’étude économique pour ces pistaches française envisage des débouchés « apéritifs » mais aussi et surtout « pour la pâtisserie ou la chocolaterie ». L’expérimentation catalane autour de ces « cultures résilientes méditerranéennes » intéresse d’autres départements d’Occitanie. Et même au-delà. Clément Tallerie est un jeune agriculteur installé à Varetz, dans le bassin de Brive-la-Gaillarde (Corrèze), orienté vers la vente directe et déjà très diversifié :  « Chaque année, nous plantions deux à trois hectares de noyers, mais le marché est saturé. On a planté des amandiers cette année et, en 2025, on va essayer le pistachier sur un hectare ». Si le pays de Brive a été plutôt bien arrosé cet hiver, Clément Tallerie pense que ces nouvelles productions seront adaptées aux longues sécheresses estivales qui frappent le Limousin.

À Saint-Paul-de-Fenouillet, l’Aparm ne met pas tous ses plants dans le même panier. Le câprier est à l’étude.

« Nous envisageons aussi de tester le caroubier, plutôt en diversification de haies ; le vétiver, très efficace contre l’érosion des sols ou encore le guayule, qui vient du désert mexicain et produit du latex »

. Dans les Pyrénées-Orientales, les « essais » de l’Aparm sont regardés parfois avec un peu de circonspection. La préfecture a établi un « plan sécheresse » pour 2024 qui prévoit des solutions de stockage ou de retraitement des eaux. Fin janvier, à l’issue d’un comité sécheresse, le préfet Thierry Bonnier a déclaré : « Les efforts doivent se poursuivre pour éviter ces restrictions que nous ne voulons pas. Le département est en avance au niveau des difficultés, mais aussi sur les solutions. Nous sommes des éclaireurs, des précurseurs… ». Et le préfet de Perpignan d’adapter à la situation un célèbre slogan né lors du premier choc pétrolier : « Nous n’avons pas d’eau, mais nous avons des idées ! ». 

 L’hiver 2023-2024 est l’un des plus chauds jamais mesurés en France a observé Météo France fin février. L’épisode hivernal, avec des températures de saison, a été très bref (du 8 au 20 janvier). Et cet hiver doux et raccourci, sans gelées ni chutes de neige durables, s’achève par un mois de février hors normes, avec une moyenne de températures très élevée : + 3,6 °C au-dessus des normales.

L’enneigement est resté très déficitaire sur les massifs, notamment en moyenne montagne et dans les Pyrénées. La pluviométrie hivernale est marquée par un écart de 10 % supérieur aux moyennes de saison sur l’ensemble du pays mais avec de très forts contrastes : des cumuls de pluie très importants sur la façade d’ouest et notamment sur le littoral de la Manche, tandis que le pourtour méditerranéen restait nettement déficitaire. L’an passé, la pluviométrie hivernale avait été très faible, après une sécheresse estivale marquée : les nappes n’avaient pas pu se recharger sur une grande partie du territoire.

Au 1er février, le BRGM a dressé un tableau plus rassurant des réserves d’eau souterraines. Depuis l’automne, la recharge s’est effectuée de façon « satisfaisante », même si elle a ralenti en janvier. Et, à l’image de la pluviométrie, cette recharge reste inégale. Comme l’indique la carte établie par le site info-secherese.fr, la jauge des nappes des régions situées sur une large bande centrale de la France (le bassin parisien, l’Auvergne, l’axe Saône-Rhône et l’ancien Languedoc-Roussillon) reste basse. Sur cette partie du pays, le printemps devra être pluvieux pour regonfler les réserves. Surtout là où la géologie n’offre que des nappes dites « réactives », qui peuvent se vider aussi vite qu’elles se remplissent.

Julien Rapegno