« Aujourd’hui, il est indispensable qu’enfin l’obésité soit reconnue en France comme une maladie. » Anne-Sophie Joly, présidente et fondatrice du Collectif national des associations d’obèses, le crie haut et fort dans « Je n’ai pas choisi d’être gros.se », un livre-manifeste percutant.
« On ne se réveille jamais un matin en se disant : aujourd’hui, je vais rajouter 50 à 70 kg à mon corps. […] Non, l’obésité n’est pas un choix, un mode de vie qu’on décide d’essayer. […] Elle est un parcours, un chemin qui vient souvent de très loin, d’une complexité difficile à appréhender pour notre entourage et nos proches sans l’avoir vécue dans sa chair. »
Cette obésité, Anne-Sophie Joly, présidente-fondatrice du Collectif national des associations d’obèses, et qui pilote un rapport à la demande du ministère de la Santé, veut l’expliquer. La faire comprendre. La faire reconnaître comme une maladie. Lutter contre toutes les discriminations qui l’entourent, que ce soit dans le milieu professionnel, médical, de la mode. « Il y a urgence à agir bien… et vite ! »
Ce livre, avec à l’appui de nombreux chiffres sur l’obésité, sonne comme un cri d’alarme. Avec donc cette idée qu’il est urgent d’agir.
Cela fait 25 ans que je mène ce combat. Le Portugal a été le premier pays à reconnaître l’obésité comme une maladie. Puis, on a eu l’Italie et l’Allemagne. Ce qui nous manque ? C’est une décision présidentielle, avec un plan interministériel sur dix ans renouvelable, comme le plan cancer. Point. Car si l’État le dit, les médecins vont être un tout petit peu obligés de changer leur regard. Il pourrait y avoir des formations à la fac pour les médicaux et les paramédicaux. Si les patients ressentent ensuite moins de culpabilisation lors des consultations, il y aura une meilleure adhésion aux soins. L’obésité est la quatrième cause de mortalité dans le monde. Donc en soignant l’obésité, on anticipe l’arrivée des pathologies chroniques associées. Ce n’est quand même pas anodin !
En 2020, en France, 17 % des adultes sont en situation d’obésité. Soit deux fois plus qu’en 1997.
On assimile encore l’obésité au fait de trop manger et de ne pas assez bouger. Alors que c’est beaucoup plus complexe que cela.
Il y a cette idée que « finalement, si vous en êtes à ce stade, c’est que vous le voulez bien ». Mais il y a 600 portes d’entrées à l’obésité. On peut parler de l’ultra-transformation des produits, où on retrouve par exemple des sauces à la tomate avec du sucre, qui est une véritable drogue. Il y a 70-80 ans, il y avait beaucoup moins d’obésité dans le monde… Après, on est dans une ère où, pour la plupart, nous sommes cloués à un bureau, où on passe notre temps à courir à droite à gauche, avec du stress, ce qui n’est pas bon. On a aussi la problématique du microbiote, de la génétique.
Et puis il y a les kilos émotionnels, les kilos de maladies, ceux de maltraitance physique ou psychologique.
Avec une vraie difficulté pour se débarrasser de ces kilos ?
Le corps se souvient intégralement de tout. Si vous avez fait 100 kg et que vous en perdez 30, il va se dire « tu te mets en danger, là. Moi, je suis programmé pour que tu restes en vie, donc je vais tout faire pour détourner le truc ». Et dès qu’il y aura une porte ouverte, vous allez revenir à vos 100 kg, avec en plus un bonus de sécurité. Comme une maladie chronique, une fois que vous êtes tombés dedans, vous l’êtes à vie. Donc déjà de stabiliser son poids, c’est une belle réussite. Ensuite, si vous perdez 5 % de votre poids total, vous diminuez de 30 % tout ce qui va être comorbidité. Avec de l’activité physique en plus, vous éloignez l’arrivée de pathologies chroniques ou en tout cas, vous les tenez en laisse.Il y a aussi l’estime de soi, avec une forte discrimination vis-à-vis des obèses ?
J’ai envie de dire aux personnes obèses d’essayer de s’aimer sincèrement. Je sais que c’est facile à dire. Pour être passée par là, je peux vous assurer que c’est un travail de longue haleine, que la remise en doute est constante. Et puis, dans la famille obésité, on est les premiers à s’occuper des autres avant de s’occuper de nous-même. Mais il faut apprendre à être un poil égoïste.
Et il faut relever la tête. Je ne prône pas l’obésité. Je veux juste qu’on puisse avoir de la bienveillance, de l’humilité et de l’humanité face à ce qu’on peut vivre.
À lire.Je n’ai pas choisi d’être gros.se, par Anne-Sophie Joly et Richard Zarzavatdjian (journaliste santé), aux éditions Solar.224 pages. 17,90 €.
Propos recueillis par Marion Chavot
