La Société française du cancer, celle de pharmacologie, de cardiologie, ou encore de réanimation… Fait rare dans le monde feutré des institutions scientifiques, pas moins de 16 sociétés savantes ont signé en leur nom une tribune au Monde, ce dimanche 28 mai, contre un personnage un temps considéré comme un ponte de la microbiologie française, devenue une rock star durant la pandémie de Covid-19 et aujourd’hui accusé de fraude : Didier Raoult. L’Express fait le point sur ce qui lui est reproché, et sur les craintes du monde du monde scientifique.
Les institutions signataires reprochent aux équipes de l’Institut hospitalier universitaire (IHU) Méditerranée Infection dirigées par Didier Raoult "la prescription systématique, aux patients atteints de Covid-19 […] de médicaments aussi variés que l’hydroxychloroquine, le zinc, l’ivermectine ou l’azithromycine […] sans bases pharmacologiques solides, et en l’absence de toute preuve d’efficacité".
Une pratique qui s’apparente à un essai clinique sauvage, selon les 16 sociétés savantes. "Le plus grand connu à ce jour", dénoncent-ils, alors que ces prescriptions ont servi à la publication, en mars dernier, d’un article de recherche non relu portant sur 30 000 patients Covid-19. "Nous estimons que ces prescriptions systématiques ont en outre été réalisées en dehors de toute autorisation de mise sur le marché, mais aussi en dehors de tout cadre éthique ou juridique", indiquent les signataires.
Au-delà du fait qu’elle n’aurait pas été déclarée, l’étude contreviendrait également aux fondements scientifiques, selon les sociétés savantes. Ces prescriptions ont été poursuivies "pendant plus d’un an après la démonstration formelle de leur inefficacité", écrivent-elles. Les autorités doivent ainsi prendre "les mesures adaptées aux fautes commises", au nom de la "sécurité des patients" et de la "crédibilité de la recherche médicale française", concluent-elles.
Les institutions scientifiques veulent éviter que de tels abus se reproduisent et érodent la confiance en la science, celle-ci étant déjà régulièrement attaquée par divers courants de pensées. "En l’absence de réaction des institutions, les graves manquements constatés pourraient devenir la norme", expliquent les auteurs de la tribune. L’hydroxychloroquine est une molécule qui expose les patients à de potentiels effets indésirables, dont certains peuvent être graves, a rappelé l’Agence du médicament en avril dernier. D’après certaines études, son recours durant la crise sanitaire aurait même participé à empirer l’état de santé des patients, à cause des problèmes cardiaques qui peuvent être générés par ce produit.
Au début de la crise sanitaire, de nombreux médias ont donné la parole à Didier Raoult "sans recul critique, sous un jour favorable", dénoncent les signataires. "La médiatisation […] a largement contribué à alimenter la défiance de certains de nos concitoyens envers la science, la recherche clinique, les autorités sanitaires et les experts en général", estiment-ils. Et d’ajouter : "dans le contexte particulièrement anxiogène de cette crise sanitaire, les propos péremptoires proclamant l’efficacité de ces traitements ont, malheureusement, rencontré un large succès dans le public".
Le parquet de Marseille avait ouvert en juillet 2022 une information judiciaire, après un rapport cinglant de l’ANSM, pour "faux en écriture", "usage de faux en écriture" et "recherche interventionnelle impliquant une personne humaine non justifiée par sa prise en charge habituelle", avant donc la publication de l’essai clinique sauvage de Didier Raoult. A ce stade, il n’y a pas eu de mise en examen, a indiqué le parquet à l’AFP fin mai.
Après un rapport d’inspection accablant (Igas/IGESR) sur les dérives médicales, scientifiques et managériales de l’IHU sous le pilotage de Didier Raoult, le gouvernement avait aussi annoncé le 5 septembre dernier saisir la justice. Sur ce volet, le parquet de Marseille est toujours en phase d’analyse, a-t-il indiqué à l’AFP. Interrogé ce dimanche lors du Grand Jury RTL/LCI/Le Figaro, le ministre de la Santé François Braun a indiqué que l’enquête portait aussi sur le nouvel essai clinique "sauvage" et qu’elle n’était pas terminée.
Retraité depuis l’été 2021 de son poste de professeur d’université-praticien hospitalier, Didier Raoult a été remplacé fin août 2022 à la tête de l’IHU Méditerranée par Pierre-Edouard Fournier. Le Pr Raoult, qui vient à l’IHU "de temps en temps", est désormais professeur émérite et encadre deux thèses ayant commencé avant son départ, selon un porte-parole de l’institution. Au sein de l’IHU, tous les essais cliniques impliquant la personne humaine ont été suspendus depuis l’arrivée du Pr Fournier.
L’institut a indiqué à l’AFP attendre un prochain retour de l’ANSM à ce sujet. Côté ANSM, "la prochaine étape est le suivi, et potentiellement, la levée des injonctions faites à l’IHU, comme sur les essais cliniques. Il faut que l’IHU démontre qu’ils ont répondu aux attentes", a déclaré une porte-parole de l’agence du médicament, sans donner d’horizon temporel.