Les sept syndicats de médecins libéraux, les représentants des jeunes médecins, mais aussi l’Ordre, les internes, le Collège national des médecins généralistes, SOS médecins et même deux organisations d’hospitaliers (Action praticiens hôpital) et l’Amuf (association des médecins urgentistes de France) : la mobilisation des docteurs s’annonce massive ce mardi 14 février. "Un tel mouvement est historique. Il faut dire que nous faisons face à une accumulation d’attaques contre notre profession", rappelle le Dr Agnès Giannotti, la présidente de MG France, le premier syndicat de généralistes.
Face à une démographie médicale déclinante et aux besoins de la population en constante progression, le gouvernement, l’Assurance maladie mais aussi les parlementaires avancent une série de mesures destinées à renforcer l’attractivité de la profession, et à dégager du temps de soin. Mais ces propositions sont loin de répondre aux attentes des médecins. Bien au contraire même, puisqu’il s’agit, pour beaucoup d’entre elles, d’augmenter les contraintes sur les libéraux. Or ceux-ci se trouvent aujourd’hui, et pour les dix prochaines années, en position de force.
Les soignants manquent partout, et nombre de "médecins traitants", piliers de notre système de soin, menacent de jeter l’éponge s’ils ne parviennent pas à se faire entendre. Dans le bras de fer qui s’est engagé, ce sont surtout les patients qui ont le plus à perdre. Rémunérations, installation, travail avec les paramédicaux, assistants médicaux, tâches administratives… L’Express passe en revue les questions qui fâchent.
En début d’année, l’Assurance maladie a proposé d’augmenter de 1,5 euro le tarif de base de la consultation, qui passerait pour un généraliste de 25 à 26,5 euros. "Un affront" pour les médecins. Les négociations ouvertes début novembre entre leurs syndicats et la Sécu pour redéfinir les conditions d’exercice des libéraux se passaient jusque-là pourtant bien : les deux parties étaient parvenues à se mettre d’accord sur le principe de la création de quatre "niveaux" de tarifs, censés mieux refléter la réalité du travail de nos médecins de famille. Le collectif "Médecins pour demain" avait certes lancé à la fin de l’année dernière un mouvement de contestation, exigeant que la consultation passe immédiatement à 50 euros. Cette demande n’avait toutefois pas été retenue par les principaux syndicats engagés dans la négociation, qui la jugeaient "irréaliste". Ces organisations n’avaient donc pas appelé à suivre la mobilisation initiée par le collectif.
Mais les discussions se sont arrêtées net quand les représentants de la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam) ont présenté leurs propositions tarifaires… "Nous disons depuis le début que si nous n’obtenons pas une revalorisation de la consultation à 30 euros, sans contreparties, nous ne signerons pas. Pour l’instant, nous en sommes loin", avertit le Dr Giannetti, de MG France. Différents niveaux de consultations, mieux payées, seraient créés, mais assortis de conditions d’activité. Listées dans un "contrat d’engagement territorial", elles consistent par exemple à accepter plus de patients, participer aux gardes ou ouvrir le cabinet le samedi matin, ou encore à adhérer à une "CPTS", communauté professionnelle territoriale de santé, qui vise à organiser les collaborations entre soignants au niveau d’un territoire.
"Les différents niveaux de rémunération remplaceraient les consultations pédiatriques, longues ou complexes pour lesquelles nous touchions déjà un supplément. Mais en l’état, le contrat d’engagement territorial oblige à travailler plus pour avoir accès à ces tarifs", regrette le Dr Michaël Rochoy, généraliste dans le Pas-de-Calais. Les médecins resteraient libres d’y adhérer ou non. Mais sans adhésion, pas d’augmentations…
C’est l’autre grand sujet de grogne des médecins : la volonté des pouvoirs publics de favoriser "l’accès direct" des patients à des professions pour lesquelles une prescription médicale préalable était indispensable. Le sujet est au cœur de la proposition de loi portée par la députée Renaissance Stéphanie Rist. Son objectif : décharger les médecins de certains actes pour leur dégager du temps, et élargir l’offre de soins accessible pour les patients. Ainsi, les malades n’auraient plus besoin de passer par leur généraliste pour voir un kinésithérapeute, une orthophoniste ou une infirmière de pratique avancée.
Si la majorité des médecins collaborent déjà avec les professionnels paramédicaux installés autour d’eux, beaucoup craignent, avec cette réforme, de ne plus se trouver au centre du parcours de soins du patient. Le conseil national de l’Ordre des médecins y voit "des risques de perte de chances" et, fait inédit, participera à la manifestation pour cette raison. Il avait pourtant précédemment ouvert la voie au développement du partage d’activité entre soignants. Mais pas au point d’accepter que le médecin perde une petite partie du suivi de ses patients : "Tout patient a le droit de voir un médecin s’il est malade. Seule la coordination par le médecin est à même de garantir aux patients l’accessibilité, la qualité et la sécurité de leur parcours de soins", insiste-t-il aujourd’hui.
Entre-temps, le Sénat a modifié le texte dans un sens plus favorable aux médecins à l’occasion de son premier examen en commission. "Nous craignons toutefois un retour en arrière lors de sa lecture ce mardi en séance publique, ou plus tard en commission mixte paritaire", alerte le Dr Giannotti.
Pour gagner du temps au profit de leurs patients, les médecins souhaiteraient en priorité se débarrasser de tâches non médicales. Certains d’entre eux avaient listé, dans une tribune publiée par L’Express, ces activités inutiles et chronophages : certificats d’absence pour enfant malade, prescriptions médicales de transport ou de lits médicalisés, certificats pour les assureurs ou pour les clubs de sport… Ces médecins voyaient dans ces multiples demandes, qui mobilisent du temps de consultation, le résultat d’un manque de confiance généralisé (des assureurs, des employeurs, de l’Assurance maladie).
Ils espéraient que les tensions sur l’accès aux soins seraient l’occasion de confier ces missions à d’autres, voire de les supprimer purement et simplement. "Malheureusement, nous n’avons pas été entendus. Le ministère a annoncé des mesures allant soi-disant dans ce sens, mais en réalité, sur nos sept propositions, une seule a été retenue", soupire le Dr Rochoy, à l’origine de l’appel paru le 5 janvier. De quoi agacer un peu plus les soignants…
La proposition de loi portée par l’urgentiste et député Horizons Thomas Mesnier, représentait un sujet supplémentaire d’agacement pour le corps médical. Il s’agissait de réguler l’installation des libéraux, en soumettant celle-ci à un accord de l’Agence régionale de santé en charge du territoire où un médecin souhaitait ouvrir un cabinet. Thomas Mesnier a été battu lors de législatives partielles, mais son texte avait été repris par Frédéric Valletoux.
De quoi énerver un peu plus les libéraux car ce nouveau venu à l’Assemblée nationale était aussi l’ancien président de la Fédération hospitalière de France. A ce titre, il critiquait régulièrement les médecins de ville, trop peu enclins selon lui à participer à la prise en charge des soins non programmés et à alléger ainsi la tâche des services d’urgence. Face à la mobilisation qui s’annonce très forte, Frédéric Valletoux a finalement préféré retirer le texte. Mais cela pourrait ne représenter qu’une victoire de courte durée pour les syndicats de libéraux : le député a en effet annoncé qu’il travaillerait sur une nouvelle proposition de loi "santé et territoires" avec le gouvernement…