Le premier enjeu de cette suite de Black Panther est évidemment celui de la survie de la franchise après la disparition tragique de son acteur principal, Chadwick Boseman, mort en 2020 d’un cancer qu’il avait le plus longtemps possible gardé secret. On se félicite déjà que Ryan Coogler, déjà auteur du volet initial, n’ait ni remplacé l’acteur, ni utilisé de morphing pour le ramener numériquement à la vie. Wakanda Forever s’ouvre sur un prologue assez bouleversant : dans un vertigineux geste où se confondent fiction et réalité, on assiste à la cérémonie mortuaire de Boseman/T’Challa. L’équipe du film pleure son collègue tandis que la nation wakandaise, son roi. Ramonda, la reine-mère, lui succède sur le trône et doit faire face à l’apparition d’une nouvelle menace venue des profondeurs de l’océan : Namor, sorte de demi-dieu à la tête d’un peuple aquatique de Talocan, descendant mutant des Aztèques.
Ce double mouvement de réinvention de la franchise – du côté des femmes et en tissant un pont avec l’autre continent sudiste oppressé par l’impérialisme blanc – est l’une des réussites de Wakanda Forever. Esthétiquement, là aussi, l’univers aquatique de Talocan est assez spectaculaire. Mélange heureux entre les Na’vis d’Avatar et la culture indigène d’Amérique du Sud, la représentation de ce nouvel ennemi offre à cette suite un terrain de jeu assez imaginatif, allant de rides de baleines à bosse à des bombes à eau qui se transforment en raz-de-marée, jusqu’à une monumentale cité engloutie.
Le problème est que ce renouvellement cosmétique ultra-captivant cache une paresse scénaristique. Wakanda Forever ne fait que reformuler la même question que celle du premier volet, à savoir : utiliser l’extraordinaire pouvoir du vibranium pour mettre à bas les ex-puissances blanches impérialistes, colonisatrices et esclavagistes, au profit des dominé·es de l’histoire, à savoir les Noir·es (et ici les Amérindien·nes) ou alors, ne pas partager son pouvoir, vivre caché·es et ne jamais intervenir. Entre l’individualisme protectionniste incarné par T’Challa et l’interventionnisme solidaire et revanchard incarné par Killmonger, le premier film finissait, au prix de la mort du justicier et d’un meurtrier déchirement intra-ethnique, par faire finalement le choix d’un consensus mou : partager du savoir tout en gardant le monopole sur le vibranium.
S’il fallait un nouveau film pour tenter d’y répondre, c’est que la question n’est pas si simple. “Les derniers seront les premiers, dans l’autre réalité,” disait Céline Dion et Black Panther est cette autre réalité où l’un des pays d’Afrique les plus pauvres se transforme, par la fiction, en la plus puissante nation mondiale. Ce renversement d’imaginaires est prodigieux et précieux. Mais savoir que faire de cette domination en puissance – l’invisibiliser ou alors en user – est une vraie question, à laquelle Wakanda Forever ne répondra pas non plus. On regrette finalement que, comme dans le premier volet, la vraie guerre ait lieu entre les héritier·ères des peuples esclavagistes ou colonisés, sans que la puissance blanche ne soit inquiétée à aucun moment.
Black Panther : Wakanda Forever, de Ryan Coogler, sortie le 9 novembre.