Armageddon Time, de James Gray
Sortie le 9 novembre
On connaît la rengaine : « Nul n’est prophète en son pays ». Les Américains n’aiment guère les films de leur compatriote James Gray, pas plus d’ailleurs qu’ils ne comprennent vraiment notre engouement pour Hitchcock ou Woody Allen. Et pourtant, avec son premier film, Little Odessa, il a accompli les génuflexions nécessaires devant les statues de Coppola et Scorsese réunies : un film de mafia et tout allait bien ! Un écran de fumée plutôt, pour dissimuler une profonde nostalgie, une absence de fascination pour la violence et le goût pour les sujets intimes comme la famille et singulièrement les rapports père-fils. D’entrée de jeu, la distance s’est instaurée avec son public « local » et Gray est devenu à juste titre une nouvelle coqueluche européenne. D’autres films ont ensuite creusé ce premier sillon autant que cette première fracture, notamment le crépusculaire et superbe La Nuit nous appartient. Mais Gray est allé depuis bien au-delà de cette première inspiration de nature classique. Explorant des genres cinématographiques bien installés et leur imposant, comme il se doit, sa propre lecture stimulante, détonante et profondément attachante. On songe ainsi au film d’aventures tendance Les Aventuriers de l’Arche perdue : The Last City of Z, un merveilleux récit d’exploration bien loin de l’héroïsme un peu niais de Steven Spielberg. Le film de Gray se déploie comme un somptueux poème de l’échec qui se termine littéralement « au cœur des ténèbres », donnant au film son insondable mélancolie traversée par un couple père-fils bouleversant. Autre incursion dans la machine traditionnelle hollywoodienne : le film de science-fiction. Avec Ad Astra, c’est une tout autre histoire qu’il nous raconte. Une nouvelle fois, et dans ce contexte si particulier, il aborde les relations entre un père et son fils, entre passé et présent, sur fond de fin possible de l’humanité. On peut aussi évoquer l’utilisation parfaitement maîtrisée du mélo amoureux dans Two Lovers, porté par l’un des acteurs fétiches du cinéaste, Joachin Phoenix, pour ne pas dire son alter ego.
Armageddon Time vient peut-être clore cette première partie de la filmographie de Gray (huit films), du moins cette plongée dans les relations père-fils. Avec ce nouveau film, qui est une réussite absolue, il aborde frontalement la question en évoquant sa propre enfance, sa propre famille. Comme s’il était temps pour lui de parler à la première personne sans se dissimuler derrière des personnages de fiction. Le résultat est saisissant d’intensité et de dévoilement intime.
Nous sommes donc à New York dans les années 1980 et le jeune Paul Graff fréquente une école publique du Queens. Doué pour le dessin, il rêve de devenir artiste. Cancre à l’école, garnement chez lui, il n’écoute qu’Aaron son grand-père qui croit en lui. Il est aussi le meilleur ami de Johnny, un jeune Noir de sa classe, avec qui il fait littéralement les 400 coups (filiation truffaldienne absolument assumée et revendiquée par le très cinéphile et francophile James Gray). Gray décrit avec minutie l’Amérique post-Vietnam, avec son mythique disco déjà en déclin, à l’aube des années Reagan. La fin de l’enfance coïncide pour Paul avec le début d’une autre page de l’histoire des États-Unis dont nous savons tout désormais. La mort du grand-père tant aimé et admiré est la concrétisation de ce monde qui s’en va : c’est le génial Anthony Hopkins qui l’incarne avec une force sidérante. Gray filme avec infiniment d’émotion ce crépuscule, ce sentiment de finitude déchirant que nous avons tous vécu un jour ou l’autre. À quoi sert le cinéma ? À partager nos crépuscules intimes pour en atténuer collectivement, devant un grand écran et dans le noir, l’implacable et désolante rigueur.
Pacifiction – Tourment sur les îles, d’Albert Serra
Sortie le 9 novembre
C’était le grand ovni du dernier Festival de Cannes. Un film venu d’ailleurs donc, proposé par le réalisateur espagnol Albert Serra déjà connu pour quelques étrangetés cinématographiques, comme cette Mort de Louis XIV avec Jean-Pierre Léaud dans le rôle-titre. Cette fois, il fait plus simple, d’une certaine manière, mais en employant toujours et magnifiquement un acteur français. Ici, Benoît Magimel qui, depuis son rôle de collabo dans La Douleur d’Emmanuel Finkiel, fait des miracles au cinéma. Comme Claude Brasseur, l’âge et l’embonpoint aidant, il joue d’abord avec son ventre. Il faut le voir boutonner et déboutonner en permanence sa belle veste ivoire de commissaire du gouvernement français dans le Pacifique pour comprendre combien un film, c’est d’abord un corps dans un décor. On le suit, fasciné, empêtré dans des palabres sans fin. Il a la grâce.
Nostalgia, de Mario Martone
Sortie le 23 novembre
Avec son titre qui annonce clairement la couleur, le nouveau film du cinéaste italien Mario Martone met aussi en lumière un acteur de premier plan, Pierfrancesco Favino. On l’avait laissé dans le superbe film de Marco Bellocchio, Le Traître. On le retrouve cette fois dans la peau de Felice, de retour à Naples après un exil de quarante ans avec, dans ses bagages, un douloureux secret local lié à sa jeunesse criminelle. Devenu étranger dans sa propre ville et dans son propre pays gangréné par la mafia, il choisit de rester, contre toute attente et toute sagesse. Nul, pas même le clergé, ne résiste au portrait acide que fait Martone de cette société ultraviolente. Jouant sur les codes du récit de Caïn et Abel, le film déploie des allures de tragédie moderne. Rien ne semble pouvoir enrayer une machine fondée sur la vengeance et la loi du plus fort qui broient les êtres et les consciences.
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