Un film documentaire sur le cinéaste Éric Rohmer est en cours de tournage dans sa maison natale à Tulle. Le projet Maison Rohmer, lieu de création partagé se précise pour le début de l’année 2023.
Au numéro 95 de la rue de la Barrière à Tulle, derrière des murs épais, se dresse un dédale architectural où s’amoncellent les témoignages des siècles passés. Dans les entrelacs de la maison Schérer, le temps s’est arrêté, à travers les pièces, bricolées et rajoutées et ce, dès le XVIIIe siècle. Depuis le décès de Mathilde, la tante du cinéaste à la fin des années 1980, rien n’a bougé. Personne, pas même l’illustre ancien propriétaire, n’a osé transformer ces lieux dont les murs ont vu défiler les générations.
La maison Rohmer est une maison typique du centre-ville de Tulle où des morceaux ont été ajoutés au fil des siècles.Cette famille compte parmi ses héritiers, René, futur philosophe et Maurice, son frère, père de l’actuel hôte des lieux, Laurent Schérer.
Maison natale d'Éric Rohmer au 95 rue de la Barrière à Tulle. Un voyage rohmérien
Maurice Schérer, plus célèbre sous le nom d’Éric Rohmer, est né à Tulle en 1920 dans cette maison toute en hauteur où se sont succédé les Monzat (N.D.L.R. : nom de famille de sa mère). Le père de Maurice Schérer, alsacien, s’est installé ici pour travailler à la manufacture d’armes de Tulle, installation qui a conduit à sa rencontre avec sa future épouse, originaire de Corrèze. C’est pour s’approcher au plus près de cet artiste insaisissable que Ming-Ming Li, jeune réalisatrice chinoise et son coréalisateur américain Joseph Eusebio ont décidé de poser leur caméra dans sa maison natale en cette fin du mois de juillet.
« Nous ne cherchons pas à faire un documentaire de réinterprétation, ça a déjà été fait, explique Ming-Ming Li. On souhaite vivre une aventure en terre rohmérienne sans réellement savoir ce que l’on veut trouver, et ça n’a d’ailleurs pas d’importance. Nous ne sommes pas des experts et ne voulons pas l’être, nous voulons parler à toutes et tous, y compris des gens qui ne le connaissent pas. »Le sujet du documentaire sera empreint d’une ambiance faites d’images d’archives, d’interviews de proches et évidemment de prises de vues dans la maison, qui tient une place importante dans ce film.
La réalisatrice chinoise Ming-Ming Li détaille son projet autour du cinéma de Rohmer.
En citant un poème de Jorge Luis Borges, dans lequel le but de l'auteur est de retrouver une pièce de monnaie jetée à la mer, elle prévient que cette aventure en territoire rohmérien est avant tout un voyage au cœur de son œuvre.
Plutôt que l’interprétation ou l’approche historique, c’est le sensible qui apparaît comme le point névralgique de ce projet. L’appel aux émotions et cette intériorité, caractéristiques du parcours d’Éric Rohmer, ouvrent une vision inédite de ce personnage aux multiples facettes. « Il cloisonnait sa vie professionnelle et sa vie privée pour être libre », raconte son fils Laurent Schérer. Le paradoxe rohmérien est présent sur les murs de sa maison. La modernité de son cinéma dénote avec cette volonté de laisser intacte le passage du temps dans cet intérieur.
La réalisatrice indique que son intérêt pour Éric Rohmer est né d’un ressenti bien particulier. « En découvrant Contes d’été, j’ai eu le sentiment de me retrouver sur une plage et de plonger mes mains dans l’eau. L’esthétique était si agréable, que j’ai eu une vraie révélation », évoque avec émotion Ming-Ming Li.
Lieu de culture
A quoi ressemblera la future Maison Rohmer à Tulle ?
« Cette maison est dans la famille depuis des générations, comme vous pouvez le voir, elle a perpétuellement évolué. Il n’est donc pas anormal que ce lieu évolue encore et c’est ce que nous souhaitons aujourd’hui », précise Laurent Schérer. En plus de ce film, un projet de lieu de création partagé est en cours d’élaboration, et doit être présenté début 2023 aux différents élus.
« La Famille Schérer est évidemment au centre de ce projet, mais également l’association la Maison Rohmer, la ville de Tulle et tant d’autres. L’idée n’est pas de créer un mausolée à la mémoire d’Éric Rohmer, mais de créer un lieu bien vivant pour aider les artistes à la création, organiser des master class et bien d’autres choses », explique Agnès Gameiro, chargée de développement culturel à Tulle.
La transmission semble être le dénominateur commun des différents visages d’Éric Rohmer et ces deux projets, cinématographique et culturel en sont la stricte continuité.
Paul Dubois
Photos : Justine Bavois