La revue La Règle du jeu a posé la question “Comment lisez-vous ?” à un casting impressionnant d’écrivains, d’éditeur·trices, de patron·nes de presse, de critiques littéraires (dont je fais partie), d’artistes et de politiques.
Un numéro collector (à paraître le 2 février) qui regroupe aussi bien Emmanuel Macron que Michel Houellebecq ou Isabelle Adjani, Orhan Pamuk que Christine Angot ou Salman Rushdie, Emmanuel Carrère ou Sofia Coppola, autour de quatre questions adressées à tous. La dernière (et les réponses qu’elle suscite) est passionnante : “Vous est-il arrivé d’aimer des mauvais livres ? Si oui, pourquoi ?” Ce qui est intéressant, c’est de voir à quel point, même pour des personnes dont c’est le métier, la définition de ce que serait “un mauvais livre“ reste floue.
Pour certains, il s’agirait, comprend-on, de littérature de genre ou de littérature populaire. Pour d’autres, d’un livre bâclé, mais dont l’histoire touche personnellement parce qu’elle parle au fond de soi-même. Pour d’autres encore, il s’agirait d’un livre sans véritable écriture, sans voix, sans littérature, mais récréatif, distrayant, donc pas si mauvais au fond. Car la question qui court en filigrane dans nombre de réponses (pas toutes, heureusement) est : “et s’il n’y avait pas de mauvais livre ?”. Plus démagogique encore : “Qui sommes-nous pour dire qu’un livre est mauvais ?”. C’est peut-être un signe des temps. Mais un signe qui pourrait sonner le glas de la critique littéraire, et au fond de tout esprit critique, de toute exigence esthétique, et qui dit esthétique dit aussi politique.
Si un livre est marrant, captivant ou sentimental, si en plus il est acheté par des milliers, des millions de gens, qui serions-nous pour le juger ? Il ne pourrait pas être mauvais, nous ne pourrions pas nous permettre de le déclarer tel. Sous-entendu : ne surtout pas paraître snobs, et encore moins élitistes, au risque d’oublier d’être un peu exigeants.
La Règle du jeu n°75 (Éd. Grasset) – En librairie le 2 février.
