À la suite de la détection de fissures par corrosion sous contraintes sur les centrales nucléaires de Civaux (Vienne) et de Chooz (Ardenne), deux réacteurs supplémentaires ont été arrêtés les 16 et 18 décembre 2021. Ceci porte à 15 sur 56 le nombre de réacteurs nucléaires actuellement inopérants. En dépit des propos rassurants de Barbara Pompili affirmant « qu’il n’y aura pas de black-out général d’ici à la fin de l’hiver », l’indisponibilité de ces 15 réacteurs nucléaires (soit environ 15 GW) pour des raisons de maintenance volontaire mais aussi de défaillances inattendues pourrait-elle créer une situation à risque alors que la saison froide arrive ?
Correspondant à de longues périodes simultanées de froid et d’obscurité, les heures de pointe (début de matinée et début de soirée) de janvier et février coïncident chaque année à des demandes récurrentes en puissance électrique. Couramment comprises entre 80 GW et 90 GW elles ont atteint début février 2012 un pic historique de 100,5 GW.
Si la France peut en théorie compter sur 136 GW toutes sources d’électricité confondues, dans les faits toutes les unités ne peuvent être disponibles au même moment : en oubliant le solaire (10 GW) inopérant l’hiver aux heures de pointe et en comptant avec optimisme sur 25 % d’éolien (le vent fait souvent défaut lors de périodes de grands froids anticycloniques), le parc est alors réduit à 112 GW. Le défaut des 15 GW nucléaires met dont en théorie la production électrique française à risque.
Cela démontre au passage qu’une croissance même démesurée des éoliennes et des panneaux solaires n’aura pas d’intérêt dans ce cas de figure dans la mesure où ils ne peuvent garantir la sécurité d’approvisionnement à un instant donné. Même l’hydroélectricité peut être défaillante en cas de manque d’eau ou de gel. Seules les sources pilotables (charbon, gaz, nucléaire) pourront donc satisfaire des pics historiques de demande.
Malgré ces incontestables tensions, grâce au réseau de mutualisation européenne le risque de blackout reste heureusement faiblement probable. Cette « assurance tous risques » nous coûte toutefois fort cher dans la mesure où elle évalue le MWh électrique sur la dernière source mise en œuvre qui est aussi la plus chère. Refuser cette règle du « merit order » serait implicitement accepter des périodes de blackout électrique.
Cette situation conjoncturelle est une occasion supplémentaire d’alerter les responsables politiques quant à l’aberration de leur politique énergétique. Si depuis 20 ans le monde a investi 5000 milliards d’euros dans les renouvelables, les 1300 TW installés ne fournissent par intermittences que 12 % de la consommation mondiale d’électricité. Si cette somme avait été investie dans l’atome, la puissance nucléaire aujourd’hui installée fournirait de façon pilotable plus de la moitié de l’électricité mondiale.
En France, les 150 milliards d’euros investis dans les renouvelables sont un « tonneau des Danaïdes ». Quelle utilité de produire abondamment des MWh solaires en plein été quand nous n’en avons pas besoin alors qu’en hiver, les intermittences du solaire et de l’éolien sont impuissants à satisfaire le pic de demande ?
Ils ne peuvent que nous plonger dans le noir et dans le froid quand nous avons besoin de lumière et de chaleur. L’éolien et le solaire ce sont des « respirateurs en réanimation fonctionnant entre un jour sur cinq et un jour sur dix ». Si ces 150 milliards d’euros avaient été investis dans le nucléaire nous aurions aujourd’hui plusieurs dizaines de réacteurs neufs supplémentaires.
Le blackout électrique français ne serait qu’un fantasme et nos voisins nous achèteraient davantage de MWh décarbonés au prix fort. Au contraire, pour satisfaire un éventuel pic de demande en janvier ou en février, il faudra que les centrales européennes au fuel et au charbon fonctionnent à plein régime.
Après la décision déplorable de la fermeture des deux réacteurs de Fessenheim, la priorité est de ne plus fermer aucun réacteur, de procéder sans tarder au grand carénage des réacteurs existants (il ne réenchérira le MWh que d’une dizaine d’euros) et de lancer rapidement la construction d’au moins 10 EPRs pour remplacer une partie des réacteurs vieillissants. Après de nombreux atermoiements, le président de la République semble s’être enfin rangé du côté de la raison.
Il est d’ailleurs intéressant de noter que dans la campagne présidentielle le nucléaire est devenu un vrai marqueur politique entre une droite pragmatique et une gauche idéologique.
Après avoir instrumentalisé le climat pour essayer d’imposer la décroissance, la gauche tente de récupérer la situation actuelle à son profit en clamant comme Charlotte Mijeon, porte-parole du réseau « Sortir du nucléaire », que l’atome serait « une énergie elle aussi intermittente, mais contrairement aux énergies renouvelables, de manière non prévisible ». Concédons lui au moins qu’on peut effectivement prévoir qu’il n’y a pas… de soleil la nuit !
La transition énergétique procédera au « grand remplacement » d’équipements thermiques par des équipements électriques. Elle provoquera un presque doublement de la demande électrique à l’horizon 2050. Plus de demande électrique c’est évidemment davantage de pics de demande et donc mécaniquement davantage de risques de blackout en plein hiver sauf à mettre en œuvre les sources pilotables requises.
Seul le nucléaire voire le gaz compensé par la capture et la réinjection du carbone peuvent répondre aux critères de pilotabilité et de neutralité. Mais, moyen terme, le choix de l’option gaz pourrait à conduire à un suicide européen.
Depuis l’été, les prix du gaz sur les marchés européens ont été multipliés par 5 tandis que le prix du MWh sur le marché de gros se négociait mi-décembre autour de 350 euros. Certains analystes jugent que cette situation est purement conjoncturelle et devrait se détendre une fois les beaux jours revenus. Nous considérons au contraire que cette crise est structurelle (Ph. Charlez – « Pourquoi les prix de l’énergie sont-il devenus fous ? » À paraître en 2022 dans la Revue politique et parlementaire) et résulte d’une profonde rupture entre une baisse de l’offre causée par un manque d’investissements dans l’amont pétrolier et gazier depuis 2015 et d’une croissance forte de la demande en gaz induite par l’incapacité des renouvelables à satisfaire l’accroissement de la demande électrique. Renoncer au nucléaire c’est implicitement cautionner une explosion de la consommation gazière conduisant à des prix stratosphériques du MWh.
Les renouvelables ne pourront jamais excéder 50 % (35 % de renouvelables intermittents + 15 % d’hydroélectricité) du mix électrique. Compte tenu du doublement de la consommation, une sortie hypothétique du nucléaire conduirait alors mécaniquement en 2050 à une facture gazière annuelle de 80 milliards d’euros (100 euros le MWh de gaz avec 60 % de rendement et un prix du carbone à 100 euros conduit à un MWh électrique à 200 euros). De quoi grever à tout jamais la balance française des paiements ! Alors que pour la génération électrique nucléaire, le prix du combustible (uranium) compte pour 2 % du prix du MWh, pour le MWh gazier il compte pour 95 %. Les dépendances énergétiques du nucléaire et du gaz n’ont donc rien de comparable.
La neutralité carbone ne sera toutefois pas atteinte sans augmentation substantielle des prix de l’énergie. Cette hausse ne doit pas être occultée à l’opinion publique. Renouvelables, gaz ou nucléaire, pour financer la transition énergétique le citoyen français devra mettre la main au portefeuille. Les politiques qui vous font croire le contraire mentent.