Carton plein. Votée à l'unanimité par l’Assemblée nationale le 6 octobre, la proposition de loi « visant à conforter l’économie du livre » a rallié les suffrages des sénateurs de tous bords, ce jeudi matin.
« Je suis très, très heureuse que nous ayons atteint un tel consensus. C’est la preuve que le combat était juste », se réjouit la sénatrice LR Laure Darcos, à l’initiative du texte.
L’article 1 prévoit que l’envoi d’une BD, d’un roman, d’un livre d’art ou de recettes – liste non exhaustive – « ne peut pas être offert par le détaillant à titre gratuit », mais doit être facturé pour un « montant minimum ».
Objectif affiché : mettre fin, selon Laure Darcos, à « une distorsion de concurrence énorme » entre libraires indépendants et géants du commerce en ligne. À commencer par Amazon et ses frais de port riquiquis, fixés à 1 misérable centime d’euro pour toute commande sur son site.
« Cynisme absolu »« Ils cassent volontairement le marché pour forcer les plateformes concurrentes à s’aligner sur eux, et au final contourner allègrement la loi sur le prix unique du livre », poursuit la sénatrice de l’Essonne, qui dénonce le « cynisme absolu » du mastodonte de Seattle.
Un sentiment partagé par Guillaume Husson, le délégué général du Syndicat de la librairie française (SLF) : « Quand l’un de nos adhérents envoie un colis, même pour un livre de poche, c’est 6 ou 7 € au bas mot. Avec un tel écart, comment voulez-vous que l’on soit compétitifs ? »
À l’appui de leur démonstration, les partisans de la proposition de loi invoquent le succès fulgurant du e-commerce dans les petites librairies lors du deuxième confinement, fin 2020.
L’État avait alors pris en charge les frais d’expédition des commandes, afin de donner de l’air avant les fêtes à un secteur frappé de plein fouet par la crise sanitaire. Résultat : « Les ventes ont explosé ! C’est bien la preuve que si on enlève ce frein, nous redevenons concurrentiels », pointe Guillaume Husson.
Le lobbying d'AmazonLa résistance du petit village gaulois a semble-t-il provoqué quelques poussées d’urticaire de l’autre côté de l’Atlantique. Amazon a missionné un lobbyiste, passé par le Conseil d’État, pour tenter de peser auprès du gouvernement et des parlementaires.
Le n°1 mondial de la division « livres » de l’entreprise s’est même déplacé en France l’été dernier pour faire une contre-proposition à Roselyne Bachelot, la ministre de la Culture.
Le deal était grosso modo le suivant : Amazon accepterait de facturer chaque livraison de livre autour de 2 €, en échange d’un abandon de la proposition de loi instaurant un prix plancher.
« En bons prédateurs là encore, ils voulaient faire en sorte que les libraires restent à l’écart. Il n’en était pas question », grince Laure Darcos.
Au terme de sa bataille hexagonale, l’élue francilienne confie d’ailleurs un « espoir » : que son texte « ouvre une brèche » et puisse « faire des petits » dans d’autres pays.
Stéphane Barnoin
Un tarif minimum, oui... mais lequel ? Le vote des sénateurs a permis de valider le principe d’un prix plancher pour les frais d’envoi. « Mais en tant que législateurs, nous n’avons pas le pouvoir de fixer ce tarif », explique la sénatrice Laure Darcos.Des négociations vont donc s’ouvrir sur ce point évidemment crucial entre trois acteurs : l’Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse), Bercy et le ministère de la Culture. Le prix minimum pour toute expédition de livre devra nécessairement être intégré dans l’arrêté qui détaillera les modalités de mise en application du nouveau cadre législatif.« J’espère que tout sera bouclé au printemps prochain », glisse Laure Darcos. Guillaume Husson, du syndicat de la librairie française, table sur un tarif « qui ne soit pas inférieur à 3 euros ». « Si on est en dessous de ce seuil, la loi n’aura servi à rien », prévient-il.