L'artiste de 48 ans, nommé en octobre intendant du Tanztheater Wuppertal Pina Bausch à partir de septembre 2022, est considéré comme l'un des chefs de file de "la non-danse", mouvement né dans les années 90 et qui décloisonne les frontières entre les arts, emmenant la danse dans les espaces publics.
C'est dans cet esprit que le Savoyard, formé à l'Ecole de danse de l'Opéra de Paris puis au Conservatoire de Lyon, compte "faire bouger les lignes" dans cette troupe basée à Wuppertal (Rhénanie-du-Nord-Westphalie).
"J'ai envie d'ouvrir des fenêtres, de faire des courants d'air", confie-t-il à l'AFP à Paris où il présente jusqu'en janvier un solo, "Somnole", dans le cadre du Festival d'Automne (à l'église Saint-Eustache et à la MC93 à Bobigny).
"Sans toit ni mur"
Le chorégraphe, auteur d'expérimentations diverses dans des musées comme le MoMA à New York ou la Tate Modern à Londres, promet un "tournant esthétique": "Pina a fait des chefs-d'oeuvre extraordinaires pour les théâtres. Je voudrais sortir la compagnie un petit peu du théâtre".
L'ex-directeur du Centre chorégraphique national de Rennes et de Bretagne - qu'il avait rebaptisé Musée de la danse - compte ouvrir un studio en plein air, un "espace de travail sans mur ni toit. On va devenir un peu une compagnie +Dancing in the rain+" (Dansons sous la pluie), sourit-il.
Avec pour idée de "vivre des aventures avec les spectateurs. Il n'y a pas d'un côté ceux qui sont assis et ceux qui dansent sur scène".
Une idée qui rappelle "Fous de danse", cette danse collective géante qui a réuni pendant 12 heures quelque 16.000 danseurs, amateurs et professionnels, dans les rues de Rennes en 2016.
L'une des chorégraphes les plus importantes du 20e siècle, Pina Bausch a révolutionné la notion de spectacle en inventant la "danse-théâtre", avec des pièces majeures qui ont fait le tour du monde comme Café Müller (1978) ou sa version du "Sacre du printemps" (1975).
Après sa mort en 2009 d'un cancer foudroyant, sa compagnie a été dirigée par le tandem Dominique Mercy (danseur emblématique et assistant personnel de la chorégraphe), puis Lutz Förster, ex-collaborateur.
"Ils ont fait appel à un +outsider+ parce que tout le monde là-bas avait envie qu'un artiste arrive avec une nouvelle vision", indique Boris Charmatz, qui a notamment collaboré avec Raimund Hoghe, dramaturge de Pina dans les années 80.
Son lien avec l'Allemagne est aussi très personnel: "mon père était juif de culture allemande; mon arrière-grand-père est mort à Auschwitz et ma mère était professeur d'allemand. L'été, on allait souvent à Berlin en vacances", se rappelle-t-il. Et dans la famille, "Pina était au panthéon des artistes allemands" comme les réalisateurs Fassbinder ou Wim Wenders.
L'Europe de la danse
"Je veux créer pour le 21e siècle car depuis sa mort, le monde a changé", dit-il, citant notamment surtout la crise du climat. L'idée est d'avoir une compagnie "à la fois urbaine, verte et chorégraphique", avec une "empreinte carbone minimale".
Le Tanztheater Wuppertal tourne beaucoup dans le monde mais, précise-t-il, l faut rester plus longtemps dans un endroit, comme la tournée d'un mois et demi en Amérique du Nord prévue en 2022.
Et surtout, il veut "travailler sur un axe de coopération franco-allemand": "Je suis basé dans les Hauts-de-France qui vient de signer un partenariat stratégique avec la Rhénanie-du-Nord-Westphalie, deux régions qui ont une grande histoire commune. Il faut qu'on incarne l'Europe aujourd'hui dans la danse aussi".
Et les oeuvres de Pina? "Mon projet est d'emmener son oeuvre au 21e siècle pour la regarder avec des nouveaux yeux, comme on rénoverait un tableau", dit-il, faisant référence à l'évolution des réflexions sur "le genre, le colonialisme et le féminisme".
"L'oeuvre est dansée par des corps différents" au sein d'autres compagnies, rappelle-t-il.