Regarder par webcam des étudiants en train de réviser en silence alors qu'on est seul chez soi, cela peut paraître bizarre. Pourtant, depuis la crise sanitaire, ce phénomène a le vent en poupe. Y compris en Belgique. Il faut dire qu'il a permis à de nombreux étudiants de sortir de leur solitude et de retrouver leur motivation lors d'une période très compliquée pour eux. "Avec le recul, je peux dire que ça a sauvé mon blocus", raconte Vinh Hao, étudiant en médecine à l'UCLouvain. Même si la vie commence à reprendre son cours, beaucoup d'étudiants, convaincus par le concept, continuent d'ailleurs à l'utiliser.
C'est en Corée du Sud que les premières vidéos du genre sont apparues. Selon des journaux locaux, tout a commencé en 2019 lorsqu'un étudiant s'est filmé en train de réviser pour rassurer ses parents. Très vite, ses vidéos ont cartonné, encourageant d'autres jeunes à faire pareil. La chaine sud-coréenne "The man sitting next to me" (ndlr: l'homme assis à côté de moi) compte aujourd'hui plus de 57.000 abonnés. Ce qu'on y voit? Un étudiant inscrit en comptabilité fiscale en train de consulter ses notes de cours. Même si l'action n'est pas vraiment au rendez-vous dans ces capsules, chacune d'entre elles compte des dizaines de milliers de vues, preuve que l'intérêt est là.
"C'est ce qui m'a donné l'idée de créer le même concept en Belgique", explique Sylviane Bachy, responsable du service d'accompagnement aux apprentissages de l'ULB. "Pendant le premier confinement, les étudiants n'avaient plus accès aux salles d'études. On a donc recréé ces espaces virtuellement, via une plateforme en ligne." Le nom du projet? Live Study. A l'UCLouvain, c'est le Royal Cercle Médical Saint-Luc (MéMé) et l'Assemblée générale des étudiants de Louvain-Woluwé (AGW) qui ont lancé leur "bibliothèque virtuelle". Deux projets d'origine différente, mais similaires sur le fond.
Concrètement, tout se passe sur Teams. Les étudiants sont invités à se connecter sur le canal dédié en activant leur webcam (s'ils le souhaitent) mais en coupant le son. En arrivant, ils font face à d'autres étudiants déjà plongés dans leurs cours. "Cela permet à ceux qui ont un coup de mou ou qui se sentent seuls de trouver du soutien", explique Marine Van Overstraeten, étudiante en médecine à l'origine de la "bibliothèque virtuelle" à l'UCLouvain. Généralement, l'ambiance est assez studieuse. "Quand on ne bosse pas, les autres le voient sur notre webcam, donc ça met la pression", note Victoria, étudiante à l'ULB. Le but est en effet de se booster pendant le blocus. Toutefois, il est quand même possible d'interagir avec les autres dans des canaux prévus à cet effet. Il y a des endroits où les étudiants peuvent papoter pour se détendre et d'autres où ils peuvent se poser des questions.
A l'ULB, il y a environ 1200 inscrits sur la plateforme, mais 400 étudiants réellement actifs. En blocus, une vingtaine d'étudiants sont connectés en simultané. Du côté de l'initiative des étudiants de l'UCLouvain, on dénombre en moyenne 20 personnes connectées en même temps en semaine, mais cela peut monter à 40 le week-end. Précisons que ces plateformes ne sont pas ouvertes uniquement pendant le blocus, mais sont accessibles toute l'année. Pour s'y inscrire, il suffit de se créer un compte avec son adresse étudiante. "Cela nous permet de filtrer les membres", explique Marine Van Overstraeten. Si ces projets sont réservés aux étudiants des universités concernées, "tous les jeunes qui y étudient sont les bienvenus". Par exemple, la "bibliothèque virtuelle", qui accueillait au début surtout des étudiants du campus de l'Alma, est aujourd'hui ouverte à tous les sites de l'UCLouvain.
"Au début, je trouvais ça vraiment bizarre de rester là comme ça, à se regarder en train d'étudier. Je ne passais que pour faire des mimiques à la webcam. Puis j'ai pris goût à cette manière de faire, et maintenant je fais mon blocus de cette façon", confie Eliott, étudiant à l'Ecole Polytechnique de Bruxelles. "C'est vrai que c'était étrange", embraye Pauline, "mais on finit par y prendre goût."
Si certains étudiants ont adhéré au concept, c'est parce qu'ils y retrouvent des valeurs qui leur tiennent à coeur. "Le soutien qu'on reçoit est juste impressionnant", s'enthousiasme Pauline, également étudiante à la Polytech. "On se motive. On se soutient. On parle de nos difficultés. C'est hyper bienveillant." Sur les deux plateformes, pas besoin de modération tant l'ambiance est bon enfant. "Mais, bien sûr, nous restons vigilants", expliquent les deux gestionnaires.
Un autre avantage qui revient souvent est que ces plateformes ont permis aux jeunes de faire des rencontres amicales. "Aujourd'hui, on organise plein d'activités ensemble, on est devenu un vrai groupe d'amis. On a rencontré des gens qu'on n'aurait jamais rencontré autrement", détaille Pauline. "Lorsque le confinement s'est terminé, on s'est rencontré en vrai et c'était très agréable. C'est un endroit hyper convivial. Je peux dire que c'est ce qui m'est arrivé de mieux depuis le confinement", poursuit Vinh Hao. Nathan, étudiant en médecine à l'UCLouvain, ne dit pas autre chose. "Au début, c'était uniquement virtuel, mais après on peut décider de se voir dans la réalité, donc c'est vraiment chouette."
Ces initiatives nées lors du premier confinement ont en tout cas fait des adeptes. Maintenant qu'il est à nouveau possible d'étudier en bibliothèque, on pourrait penser que les étudiants délaisseraient ces lieux d'étude virtuels mais ce n'est pas le cas. "Les salles d'étude n'ont pas toujours assez de places et ne sont pas toujours aussi flexibles au niveau des horaires. Via la plateforme, on peut commencer à étudier plus tôt ou finir plus tard", note Pauline. Beaucoup d'étudiants que nous avons interrogé notent également le confort de pouvoir travailler de chez soi, mais en groupe. "Confinement ou pas, je trouve que c'est une excellente idée", conclut Nathan.
Tant que les étudiants continuent à utiliser ces plateformes, il y a donc fort à parier qu'elles continuent elles aussi à exister.