Trois ans après le remarqué Crave, Léonie Pernet revient avec un deuxième album intense, soigné et hypnotique. La chaleur des darboukas se frotte à la froideur des synthés. L'électronique se mêle parfaitement aux grandes orchestrations, à la pop aux influences africaines. Rien n'est surjoué. Tout est osé. Le Cirque de consolation ★★★ (InFiné Music, sorti le 19 novembre) est aussi expérimental qu'accessible. Léonie Pernet y dénonce le racisme, se remémore ses anciennes addictions, dissèque le regard que l'on pose sur le corps. Rencontre avec l'ancienne batteuse de Yuksek, qui vient par ailleurs de signer la bande originale de l'excellente série H24 (Arte), et bouscule, à sa manière, la chanson française.
D’où vient le très beau titre de votre disque, Le Cirque de consolation ?
L'endroit existe vraiment, dans le Jura. Je n'y suis jamais allée, j'ai simplement vu un panneau, mais j'ai eu une sorte d'épiphanie autour cette appellation. Je me suis racontée une histoire avec cet endroit, qui reste imaginaire pour moi. Ce nom m'évoque le cirque romain qui devient un lieu de vie sociale, mais aussi le cirque médiatique, politique. La consolation est un terme moins ambivalent, il n'y a pas de pointe d'ironie contrairement au cirque. Ce titre est également une sorte de réponse à un texte que j'adore de Stig Dagerman, Notre besoin de consolation est impossible à rassasier. Cet essai est porteur d'espoir, comme son nom ne l'indique pas. Mon premier album s'appelait Crave, qui veut dire le manque. La consolation vient après.
La musique est-elle une source de consolation ?
Dans ma vie, certainement. Je pense que ça l’est pour beaucoup de gens. La musique a un pouvoir consolatoire. Elle me console depuis que je suis enfant. Je ne pense pas qu’elle puisse avoir un pouvoir révolutionnaire, par contre. Mais elle peut accompagner des grands moments de l’Histoire.
On entend beaucoup de djembé tout au long du disque. Vous dites vouloir réhabiliter cet instrument, c’est-à-dire ?
Le djembé souffre de préjugés. Il en est vraiment venu à être associé aux rastas blancs qui en jouent dans des parcs. J’avais envie de ramener cet instrument dans un contexte de musique assez électronique. Je ne fais pas de la musique africaine, mais je reprends certaines sonorités. Lors d’un concert où je jouais du piano et de la darbouka, une personne m’a signalé, que quand elle m’a vue sortir cette percussion, elle avait eu très peur. Mais elle a compris que cette fusion pouvait fonctionner. On a longuement parlé des a priori sur les instruments, qui sont des a priori racistes en réalité. Je trouvais intéressant et drôle de me dire que je voulais réhabiliter le djembé.
Le clip de "Hard Billy" est marquant. On y voit des danses traditionnelles masquées du Burkina Faso ou du Mali. Les pas de danse renforcent les rythmes techno. Un choc de cultures sans doute improbable, mais qui fonctionne parfaitement.
Avant de soumettre cette idée au réalisateur Jean-Gabriel Périot, j’avais fait des essais sur la danse zaouli que l’on voit dans la vidéo. Le jeu de jambes est extrêmement rapide et m’évoquait le jumpstyle qui se danse sur du gabber (style de musique techno). J’ai adoré la danser, dans une version très amateur. Esthétiquement, il y a quelque chose qui se passe, quelque chose de puissant, de profond.
Dans vos anciens clips, vous représentiez le parcours d’un réfugié soudanais ("African Melancholia") ou dénonciez les discriminations envers les femmes, arabes, musulmanes et queer ("Auaati"). L’image ajoute-t-elle un degré de lecture à votre musique ?
C’est exactement ça. Mes morceaux ne sont pas des tracts, je n’aime pas y être factuelle ou prosaïque. J’aime l’idée de prolonger un morceau et son éventuel message par l’image. Sur "African Melancholia", hormis le titre, si on écoute le morceau seul, je ne suis pas sûre que l’on comprenne de quoi il s’agit. Les clips peuvent être une opportunité supplémentaire de dire quelque chose.
Il y a quelques années, vous avez publié un titre avec des extraits du discours de Christiane Taubira consacré à la loi sur le mariage homosexuel. Vous avez aussi partagé un mix en hommage à Adama Traoré. Des sujets très politiques...
Ils le sont à 100 %. Je dirais même que j’aime amener de la musique à la politique ! Je fais ces mix quand j’ai vraiment besoin de prendre la parole. Je le fais à travers la musique mais pas uniquement, il y a aussi un gros travail de recherches et d’archives de documents sonores. J’aime la façon dont la musique oriente le sens même d’une phrase, d’un discours. On me parle beaucoup de mon engagement, mais je n’ai pas l’impression de l’être tellement en réalité. La politique n’est pas ma passion, je suis juste une citoyenne. Je me sens concernée. Comment ne pas l’être ?