"Nous sommes le paysage" : accrochée à la façade ou tapissant le mur du fond du foyer, l'affirmation résolue du Rideau de Bruxelles serpente aussi – ô combien – dans la création que vient d'y faire éclore Hélène Collin. Fruit de dix années de rencontres, d'aller-retours, d'immersion, de décantation, Appellation sauvage contrôlée retrace dans un même geste la démarche de la comédienne et réalisatrice et la réalité des peuples autochtones du Canada, en particulier les Atikamekw de la communauté de Wemotaci, dans le nord du Québec.
L’entrée dans la salle s’accompagne de l’odeur âcre du bois brûlé. Bientôt s’y juxtaposeront des images d’incendie, évocation directe des cataclysmes auxquels la terre fait face, mais aussi de ces immensités forestières – majestueux et nécessaires territoires de vie et d’apprentissage – où l’arbre n’a de valeur marchande qu’une fois mort.
De ces mêmes territoires ont été arrachés, plus d’un siècle durant, des dizaines de milliers d’enfants autochtones envoyés dans des pensionnats pour une scolarité censée les “civiliser”, loin de leur famille, leur langue, leur culture.
Ouvrant cette brèche, affichant le total accablant – et non définitif – des restes d'enfants anonymes retrouvés à proximité des pensionnats indiens (plus de 7 000 à ce jour – "Ceci est un génocide"), Hélène Collin fait voir et entendre, par Marcel Petiquay, qui fut l'un d'entre eux, le récit de ce "lavage de cerveau", de l'assimilation instillée jusqu'aux "films de cowboys où les Indiens étaient toujours perdants", des abus subis, de la fuite dans l'alcool.
Implacable et déchirant, ce moment réaffirme tout le sens du titre Appellation sauvage contrôlée, et plonge dans une histoire récente dont le Canada et son grand voisin états-unien n'ont pas fini de devoir répondre.
Le talent du mélange
Fruit d'une "expérience du déplacement", comme nous le confiait la créatrice à une dizaine de jours de la première, Appellation sauvage contrôlée y inclut le public avec une ferme générosité : l'envie du partage, la rage de dire, la douceur de transmettre, la sincérité de celle qui écoute, digère et donne.
Les chemins empruntés pour cela – au propre dix années durant, au figuré dans l’élaboration du spectacle – en creusent un nouveau, où s’engager dans son sillage. Écouter et apprendre. Saisir un peu de ce qui constitue ces réels si singuliers, ces ordinaires si chargés d’histoire.
Qu'elle livre son propre vécu, se fasse porte-voix (au casque, elle réinterprète le témoignage d'Yvette, de Francis, de Christiane…) ou s'éclipse pour laisser place aux images et aux mots de Marcel ou Pierrette ("ma mère innu"), Hélène Collin tient avec justesse le rôle de passeuse, enluminé de son talent du mélange : images et sons, neige qui fond, fils à tirer, souvenirs réactivés, objet précieux (le Wampun à deux voies, symbolisant le premier traité liant ceux qu'on nomma les "Indiens d'Amérique" aux Européens, en 1613).
“Il existe un autre monde, mais il est dans celui-ci”
La scénographie de Matthieu Delcourt convoque les éléments, inclut la vidéo de Jeanne Cousseau, tandis que la bande-son de Marc Doutrepont finit de sculpter cette invitation au cœur du paysage. Accompagnée par Valérie Cordy pour la mise en scène, et par Jacques Newashish pour la dramaturgie et bien davantage – la rencontre première –, la comédienne résout brillamment une équation aux multiples variables : le pouvoir de l'archive, le souvenir réactivé, le présent du plateau. Douleurs et douceurs s'imbriquent dans Appellation sauvage contrôlée, qui ravive l'écho de la colonisation, du capitalisme, du patriarcat, termes de cette histoire comme de la nôtre.
Appellation sauvage contrôlée : Le teaser ! from Le Rideau on Vimeo.