Une piscine. Des hommes se baignent, se matent ou remettent ostensiblement leur paquet en place sous leur maillot de bain moulant. Parmi eux, Sandro, discret quadra barbu au corps velu et costaud, semble maîtriser l’art du "voir sans être vu". Dans son entreprise minière qui fabrique des engrais, il s’occupe des ressources humaines et entretient une relation charnelle avec le jeune Ricardo qui le dévore des yeux à la cantine avant de passer à d’autres parties du corps en fin de journée, à la sortie de l’usine, dans la forêt adjacente.
Un soir, sortant du petit supermarché où les employés ont l’habitude de se croiser, Sandro tombe en arrêt devant l’homme de ses rêves. Maicon est un fantasme gay ambulant : grand, musclé et vêtu de cuir et de jean, une silhouette à la Tom of Finland surmontée d’une belle gueule et d’une mèche blonde. Il n’en faudra pas plus pour entraîner Sandro dans une fantasmagorie fétichiste qui vient combler les brèches de sa routine travail, plans cul et sorties entre ami·es.
Le réalisateur brésilien Daniel Nolasco, qui avait fait le tour des festivals LGBTQI+ du monde en 2019 avec son documentaire Mr. Leather, consacré à la deuxième élection de Mister Leather Brazil, s’y connaît en fantasme de tous ordres. Et Vent Chaud, présenté à la section Panorama du festival de Berlin, se nourrit de tout un imaginaire de fantasmes gays très "kinky" qui vont des pratiques BDSM entre domis et soumis aux fétichismes autour du cuir et des fluides corporels en tous genres. L’esthétique extrêmement soignée du film participe d’une mise en scène créative et affirmée qui multiplie les références (on pense, entre autres, à Fassbinder, à Guiraudie ou à Gregg Araki) tout en jouant de différents niveaux de lecture entre fantasmes hard, rêveries plus érotiques voire romantiques et réalité sociale brute du quotidien et du monde de l’entreprise.
Vent Chaud s’inscrit de fait dans cette nouvelle vague du cinéma queer brésilien qui, à l’image du "new queer cinema" anglo-saxon des années 90, redéfinit le récit social en mettant au centre des histoires des parcours et des corps minoritaires et minorés. Si le "new queer cinema" s’inscrivait dans une période politique particulière (apogée du sida et des conservatismes aux États-Unis comme au Royaume-Uni), ce "novo queer cinema" brésilien a senti la radicalisation du pays et devancé l’arrivée au pouvoir d’une extrême-droite raciste et homophobe incarnée par Bolsonaro.
Des films comme le sublime Hard Paint de Filipe Matzembacher et Marcio Reolon, le surprenant Bixa Travesty, documentaire consacrée à la rappeuse Linn da Quebrada (respectivement Teddy Award de la meilleure fiction et du meilleur documentaire en 2018 à Berlin, sortis en 2019) ou la comédie musicale/fable horrifique Les Bonnes manières de Juliana Rojas et Marco Dutra (2018), ont participé à lancer cette tendance : sublimer les corps marginalisés parce que gays, queers, trans, racisés et/ou pauvres, mettre au jour les difficultés de s’assumer pleinement et de vivre heureux dans un contexte politique, économique et social désastreux qui engendre une violence quotidienne et protéiforme.
Le Vent Chaud de Daniel Nolasco agit sur ce climat hostile comme une parenthèse enchantée de liberté sexuelle et de fantasmes tous azimuts tout en gardant à l’esprit de façon très consciente que la météo est plus que changeante.
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Crédit photos : Optimale Distribution
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