Il y a un an le 11 juin 2020 à Peyrat-la-Nonière, Jean-Pierre Mollas ne s’est pas réveillé. Mort naturelle a dit l’autopsie. Mais ce décès, même naturel, a-t-il pu avoir une origine qui ne l’est pas ?
C’est la question que pose la famille à la justice depuis un an. Jusqu’à cette semaine, elle n’avait pas eu de réponse. Pour faire bouger les choses, elle a décidé d’organiser une marche blanche, vendredi 11 juin à 18 heures, au départ du monument aux morts de Peyrat-la-Nonière.
Le ton monte au détour d’un chemin creuxJean-Pierre Mollas, 69 ans, était un agriculteur retraité. Comme beaucoup, il a conservé quelques vaches dans des pacages et a loué à un voisin le reste de ses terres. Le matin du 10 juin 2020, justement, le bétail de son locataire s’est mélangé au sien après avoir rompu les clôtures. Jean-Pierre Mollas va voir son fermier, le ton monte et les deux hommes se quittent fâchés. Et se retrouvent, plus tard, au détour d’un chemin creux.
Ce coup-ci, le voisin est venu avec son père. L’engueulade dégénère, le retraité se fait empoigner et bousculer. C’est en tout cas ce qu’il rapporte à sa femme quand il rentre à la maison. Elle l’incite à aller voir les gendarmes. Il hésite, puis va déposer une main courante. Ne veut-il pas porter plainte ? Lui demande-t-on. Non, il ne souhaite pas aller plus loin.
Une si longue attenteLa journée se passe, l’homme a été choqué par l’empoignade du matin. Il en parle à une de ses filles qu’il passe voir. Mais ne montre pas signe de malaise. Le lendemain matin, il est mort. La médecin de famille qui vient dresser le constat de décès apprend ce qu’il s’est passé la veille, l’altercation a-t-elle pu précipiter la mort de son patient ? Elle décide de contacter le parquet de Guéret.
Qui va réagir en demandant une autopsie, réalisée quatre jours plus tard à l’Institut médico-légal de Limoges qui conclut à une « asphyxie », un arrêt du cœur.
Des courriers sans réponseMais le procureur veut en savoir plus et réclame une expertise anatomopathologique afin que l’origine de la crise cardiaque soit précisée. Les gendarmes viennent, écoutent la famille. Des scellés sont posés sur la voiture de Jean-Pierre Mollas, celle qu’il conduisait et contre laquelle il a été bousculé d’après son récit.
Et depuis… la famille attend.
« On a cherché à savoir, explique Carine Mollas-Goryl, une des filles de Jean-Pierre qui a eu quatre enfants. J’ai contacté les gendarmes, écrit au procureur, pas de réponse. Alors en décembre on a pris un avocat et déposé plainte, ce que l’on n’avait pas fait jusque-là. »
Est-ce que la procédure pour « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner », visant nommément les voisins va faire réagir ? « Non, impossible de savoir où en étaient les enquêteurs, se désole Carine Mollas-Goryl. J’ai de nouveau écrit en février, un courrier adressé en préfecture et au procureur, et toujours pas de réponse. J’ai appelé le parquet à Guéret, impossible d’avoir quelqu’un. »
L’expertise a enfin révélé les causes de la mortAutour de la ferme familiale, l’atmosphère est tendue. Les deux familles sont connues dans le pays et le voisin passe tous les jours devant les fenêtres de la veuve de Jean-Pierre Mollas.
La semaine dernière, la famille décide d’organiser cette marche blanche en l’annonçant sur Facebook.
« Lundi dernier, les gendarmes nous ont enfin communiqué les résultats de l’anapath’, indique la fille de la victime qui est médecin. Mon père avait une maladie héréditaire que nous ignorions, une amylose myocardite, c’est ce qui l’a tué. Je me suis renseigné auprès d’un collègue cardiologue. Une forte poussée de stress a pu entraîner l’arythmie qui lui a été fatale. »
Invitée à se rendre à la gendarmerie d’Aubusson, mercredi dernier, la famille a aussi croisé les voisins, père et fils, qui avaient été convoqués.
Une marche blanche en hommageEst-ce l’annonce de la marche blanche qui a « réveillé » la justice ? Carine Mollas-Goryl n’est pas loin de le croire : « La justice ne peut pas laisser les familles sans réponse. Dans ce silence, il ne faut pas s’étonner que les gens finissent par faire justice eux-mêmes. C’est la justice qui dira si oui ou non la mort de mon père a un lien avec l’altercation. Notre marche blanche, elle n’est pas contre ceux avec qui il s’est disputé. C’est un hommage pour lui et un appel à ce que la justice entende mieux les victimes ».
Une justice trop lente ? Bruno Sauvage, le procureur de la République de Guéret, refuse d’être mis sur le banc des accusés et explique : « Nous fonctionnons avec des procédures, des actes et des faits. Le jour même de la découverte du corps, j’ai demandé une autopsie et l’expertise anapath’ dans la foulée ».
Attendre un an une expertise ? Ce n’est pas hors normeMais pourquoi cette attente d’un an ? « Parce que les experts sont rares et les expertises longues à arriver. Attendre dix ou douze mois n’est pas hors norme. Ainsi, dans ce cas précis, l’expert du CHU de Limoges nous a transmis ses conclusions le 27 avril dernier et les gendarmes en ont pris connaissance qu’à la mi-mai, il y a à peine trois semaines. »
Ce n’est pas la marche blanche, mais l’arrivée de cet élément de procédure qui expliquerait donc que les auditions n’aient commencé que cette semaine.
Et maintenant : « Dans ce dossier, je dois établir s’il y a matière à poursuivre. Y a-t-il eu agression ? Y a-t-il un lien de causalité avec la mort de cet homme ? Peut-on l’établir ? Au bout, je conclurai sur des poursuites ou un classement sans suite. Mais la réponse sera rapide, d’ici quelques jours ».
Pourquoi n’a-t-il pas donné de réponse aux demandes de la famille ? « Si je les avais reçues, j’y aurais répondu. Mais je vous rappelle la période, le Covid. Le tribunal a croulé sous un stock de procédures sur les priorités qu’étaient le respect des mesures sanitaires et la lutte contre les violences conjugales. Il est possible qu’un courrier ou un coup de fil ne soit pas arrivé jusqu’à moi. Et je le regrette. Mais même si je les avais eus en ligne à l’époque, qu’aurais-je pu leur dire d’autres que nous n’avions rien de neuf. »
Eric Donzé