Les ministres de l'Intérieur Gérald Darmanin et de la Justice Eric Dupond-Moretti étaient entendus et interrogés par les élus en visioconférence à l'Assemblée nationale le 17 mai. Cette audition était l'occasion pour Gérald Darmanin et Eric Dupond-Moretti de défendre le projet de loi du gouvernement relatif à la prévention d'actes terroristes et au renseignement devant les députés.
Le projet de loi en question pérennise et adapte certaines mesures de lutte antiterroriste instaurées à titre expérimental par la loi SILT en 2017 – permettant notamment la fermeture administrative des lieux de culte et de nouvelles mesures de surveillance. Elle crée également une «mesure judiciaire de réinsertion sociale antiterroriste», selon le site gouvernemental Vie-Publique.fr et renforce la loi sur le renseignement de 2015.
Le projet a été présenté au Conseil des ministres du 28 avril 2021 par les deux ministres et le gouvernement a engagé une procédure accélérée sur ce texte.
Au cours de l'audition par les députés, le ministre de l'Intérieur a tout d'abord tenté de relativiser : «Ce n'est pas un texte révolutionnaire, mais de progrès d'ajustement, d'amélioration, qui essaie de s'ajuster à la menace tout en tenant compte de l'Etat de droit.»
Puis, au sujet de la surveillance d'Internet, il a argumenté : «Ce que nous essayons de faire, c'est le contraire de ce que font certains Etats. Le député Bernalicis [LFI] a évoqué certains pays qui ont la réputation de faire une sorte de pêche au filet et ensuite de regarder à l'intérieur, ce que certains pourraient juger à juste titre comme attentatoires aux libertés individuelles, en tout cas sur le plan des données personnelles.»
Ca ne me paraît pas attentatoire aux libertés individuelles
«C'est le contraire qu'ont essayé de faire les services de renseignement français à travers plusieurs gouvernements, je pense notamment à celui qui nous a précédés et à Bernard Cazeneuve [ministre de l'Intérieur sous François Hollande] : nous essayons de faire des choses ciblées», a soutenu Gérald Darmanin, assurant qu'il ne s'agissait pas «de prendre tout l'internet français pour en faire un tri, mais bien de cibler les personnes qui sont concernées».
Un moyen pour le locataire de la place Beauvau de justifier une des mesures les plus controversées du projet de loi, à savoir l'instauration d'un algorithme qui pourrait permettre au renseignement d'analyser les adresses des sites web consultés par les individus représentant «une menace».
«C'est d'ailleurs pour cela qu'à travers la question des algorithmes, il y a celle des URL : qu'un certain nombre de connexions qui mises bout à bout puissent faire naître un doute que nous devons lever – et je rappelle que la levée de l'anonymat est autorisée par une administration indépendante avec quatre signatures, c'est important –, ça ne me paraît pas attentatoire aux libertés individuelles», a-t-il affirmé.
L'homme fort de Beauvau a ensuite réfuté la participation de la France à une base de données internationale sur le type de renseignements antiterroristes glanés de cette manière : «Cette base de données n'existe pas.»
Par ailleurs, le ministre a abordé la question «suscitant peut-être le plus de fantasmes» de la surveillance des messageries de réseaux sociaux et des messageries cryptées. Prenant l'exemple du service Messenger et du terroriste islamiste qui a frappé la basilique Notre-Dame de Nice le 29 octobre 2020, Gérald Darmanin a souligné qu'il s'agissait de contrer la possibilité pour les terroristes de communiquer uniquement via les messageries comme celle de Facebook.
Prenant appui sur un autre exemple, le ministre a également évoqué l'assassin de Conflans-Sainte-Honorine qui aurait communiqué par Instagram avec des terroristes de Daesh sur le théâtre des combats irako-syriens.
Concernant les messageries cryptées, le successeur de Christophe Castaner a cité Telegram, WhatsApp et Signal «qui bâtissent leur modèle commercial et économique sur le fait que, par définition, on ne puisse pas les écouter.» Un modèle qu'il entend contrer, arguant qu'il est possible de recueillir les données informatiques relatives aux connexions, ainsi qu'obtenir un accès aux données stockées sur l'appareil utilisé par la personne ciblée.
Constitutionnellement, il est difficile de suivre des radicalisés pour une infraction qu'ils n'ont pas commise
Après avoir abordé la question des «drones malveillants» menaçant la sécurité nationale et des moyens projetés pour les empêcher de nuire, Gérald Darmanin a répondu à une question sur l'efficacité de la fermeture des lieux de cultes en lien avec une entreprise terroriste. Le ministre a jugé que la politique de fermetures de lieux de cultes avait «porté ses fruits», saluant au passage les travaux entrepris par ses prédécesseurs place Beauvau. Gérald Darmanin a par ailleurs rappelé qu'il s'agissait à présent de faire fermer les lieux dépendants des lieux de culte eux-mêmes visés par une fermeture.
Eric Dupond-Moretti a pour sa part salué l'ampleur du travail accompli dans le domaine du renseignement pénitentiaire. Détaillant certaines mesures prévues par le projet de loi, le garde des Sceaux a énuméré, notamment, l'obligation de donner son lieu de résidence en sortant de détention, de répondre à toute convocation d'un juge d'application des peines, d'exercer une activité professionnelle ou de suivre une formation.
«Constitutionnellement, il est difficile de suivre des radicalisés pour une infraction qu'ils n'ont pas commise», a-t-il en outre remarqué. Le ministre de la Justice a rappelé que le projet de loi évoluait dans un cadre légal «contraint», mais il s'est félicité d'un «progrès» avec cette nouvelle loi qui vient, selon lui, combler un vide dans la lutte antiterroriste.