Ils ont souvent commis l’irréparable. Ils le savent ; en prison, ils ont payé pour le savoir. Mais eux sont réparables. Ils peuvent changer si l'institution carcérale et les regards portés sur eux changent. L’écrivaine canadienne Nancy Huston témoigne de la difficultés des ex-détenus à retrouver une vie normale.
La prison, ce sont des murs d’abord, puis, une fois dehors, des regards réprobateurs qui condamnent une seconde fois, sans appel, définitivement.« Souvent, s’interroge ainsi Nancy Huston, je me demande : si je n’avais écrit qu’un seul roman à l’âge de vingt ans et rien depuis, pourrais-je m’attendre à être considérée comme une romancière jusqu’à la fin de mes jours ? Sans doute que non. Par contre, le fait d’avoir commis un seul meurtre à l’âge de vingt ans fait de vous un meurtrier jusqu’à la fin de vos jours. »L‘écrivaine canadienne (1) s’intéresse de longue date à la question carcérale. Avec Philippe Claudel, Marie Darrieussecq, Annie Ernaux, Maylis de Kerangal, Nathalie Quintane et David Rochefort, elle soutient à son tour, à travers un livre collectif, l’Observatoire international des prisons.Sa contribution, intitulée La punition précède le crime, revient sur la trajectoire d’un détenu parmi d’autres, d’un ancien détenu pas comme les autres puisque lui est sorti de prison pour ne plus y retourner.
La réinsertion par la lecture« A 19 ans, se souvient Nancy Huston, M., appelons-le comme ça, a abattu un autre jeune homme dans un casino. Ont suivi trois années de braquages et dix-huit de prison. Quand je l’ai rencontré dans un club de lecture de Fleury-Mérogis, une quinzaine d’années après son arrestation, j’ai découvert un homme mature, qui citait Nietzsche, lisait Hermann Hesse, appréciait la poésie du XIXe siècle, écoutait France Culture… »
Lire. Observatoire international des prisons, Pour que droits et dignité ne s’arrêtent pas au pied des murs, Seuil, 2021, 11 €
« A 40 ans, poursuit-elle, alors que se profilait sa libération pour bonne conduite, le voilà menacé d’expulsion. On a intercédé en sa faveur et réussi à lui éviter la “double peine” ».Des rencontres entre des murs aussi hauts qu’indiscrets, l’écrivaine en avait fait d’autres : « Je ne me souviens plus de la première fois où je suis allée en maison d’arrêt. Il s’agissait sans doute alors d’une vraie visite, curieuse que j’étais des lieux. Depuis, j’ai appris à détester ce mot qui fait écho à la charité chrétienne. Je lui préfère celui de rencontres. »« Ma propre histoire, explique-t-elle, a dû aiguiser ma curiosité. Adolescente, j’ai par deux fois passé quelques heures en prison… Et puis, souvent, les écrivains s’intéressent à ce que la société ne veut pas voir. Ah ! la prison… Combien d’habitants sont capables de la localiser dans leur propre ville ? D’où sans doute cette indifférence aux conditions de vie des détenus. »« La différence, recadre-t-elle aussitôt, entre la prison et le confinement à domicile, si quelqu’un osait la comparaison, tient au fait que le second ne relève pas d’une décision punitive et vexatoire, mais d’une décision prise dans l’intérêt des personnes. Et puis, en prison, il y a le bruit, la saleté et la promiscuité qui rend impossibles le silence, la concentration, le respect de sa dignité physique et mentale. A trois dans neuf mètres carrés, la vie est vite irrespirable. »
Milieux défavorisésDehors, les ex-détenus retrouvent enfin l’espace à défaut, souvent, de trouver leur place. « Me revient toujours cette même question, insiste Nancy Huston, même si je n’en épouse pas le point de vue : “Quand on a payé sa dette à la société, peut-on reprendre une vie normale ?” Manifestement pas : les personnes condamnées ont beau avoir changé, trouvé un métier, fondé une famille, elles restent pour la plupart des gens à jamais réduites au geste qui les a envoyées en prison. Leur réinsertion, à laquelle ne préparent d’ailleurs pas ou si peu les années derrière les barreaux, est d’autant plus difficile, voire impossible. »
« Par ailleurs, appuie-t-elle, la plupart des détenus viennent des quartiers populaires relégués, en déshérence. Ils y ont déjà connu la promiscuité avec, rarement, une chambre à soi, l’absence à proximité de bibliothèque, etc. » Et, comme le note Céline, « presque tous les désirs du pauvre sont punis de prison » (2).M. coche toutes les cases, prison comprise, si ce n’est que lui a réussi à reprendre une vie normale. « Son parcours reste exceptionnel, soupire Nancy Huston. Il a su, derrière les barreaux, trouver en lui la force pour prendre les bonnes décisions, faire son chemin dans l’intelligence humaine, quand les autres restent enfermés dans leur malheur. »Pour ceux-là, la prison reste peine perdue… (1) Dernier roman : Arbre de l’oubli, Actes Sud, 2021, 21 €.(2) Voyage au bout de la nuit.
Jérôme Pilleyre
Surpopulation chronique. Au 1er janvier 2021, 62.673 personnes étaient détenues dans les 188 prisons françaises pour 60.585 places opérationnelles (chiffres de la Direction de l’Administration pénitentiaire). Malgré la forte baisse de la population carcérale au printemps 2020, la surpopulation carcérale chronique contraint souvent deux à trois personnes, parfois plus, à partager des cellules de 9m2 et près de 700 personnes à dormir chaque nuit sur des matelas posés au sol. Le taux d’occupation moyen atteint 116%. Le taux d’occupation des établissements pénitentiaires est de 103% et de 119% en maison d’arrêt ou quartier maison d’arrêt. Précisément 21.664 personnes sont détenues dans des établissements ou quartiers occupés à plus de 120% (au 1er janvier 2021). Le nombre de personnes détenues a été multiplié par 2,4 ces 40 dernières années, passant de 29.482 en 1977 à plus de 62.000 aujourd’hui. Cette hausse s’explique non pas par l’évolution de la délinquance mais par un durcissement des politiques pénales. Parmi les détenus, 17.856 sont prévenus, c’est-à-dire écroués dans l’attente de leur jugement, soit un peu moins du tiers de la population carcérale. La part des femmes (3,6% de la population carcérale totale) est stable, tout comme celle des mineurs (environ 1%).