Le patron de la réanimation à l'hôpital La Pitié-Salpétrière voit avec cette troisième vague arriver dans son service beaucoup de patients souffrant d'une pathologie autre que le Covid-19. Ce qui contribue à saturer encore plus les capacités en lits.
Pour faire face à l'afflux de malades touchés par des formes lourdes du Covid-19, Alexandre Demoule, chef du service réanimation à l'hôpital universitaire Pitié-Salpétrière (AP-HP), à Paris, s'efforce de trouver des solutions pour trouver des lits de réanimation disponibles. Si, pour l'instant, la situation reste sous contrôle, le médecin dit craindre les déprogrammation d'opérations, la pratique d'une réanimation dégradée et de devoir faire le tri entre les patients.
Quelle est la situation au sein de votre service ?La situation en Ile-de-France est très tendue : il y a une très forte demande en lits de réanimation, que ce soit pour des patients Covid et non-Covid. C'est d'ailleurs l'une des caractéristiques de cette troisième vague : lors de la première, il y avait peu de demandes pour les patients non-Covid ; et là, sur notre hôpital qui est le plus gros de France, on a dû par exemple refuser 5 propositions de Samu pour des patients non-Covid. On a fini par trouver de la place dans d'autres structures de l'hôpital, les salles de réveil post opératoires, qui sont équipées un peu comme des réanimations, mais qui ne sont pas faites pour faire de la réanimation (ce sont de grandes salles communes, il n’y a pas de chambres).
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Reste-t-il des lits disponibles ?On a, au total, 52 places en réanimation. Je n'ai plus que deux lits de libre ce soir (NDLR, ce mercredi 7 avril). Lors de la vague de mars dernier, qui a été très haute, il y avait peu de demandes pour les malades non-Covid. On ne se sait pas pourquoi. Là, c'est différent. Notre réanimation est complète pour les patients non-Covid ; il a fallu trouver des solutions, comme donc l'utilisation des salles de réveil post opératoires pour mettre des patients non CovidHier, il y a eu en Ile-de-France 120 admissions de patients Covid ; hormis le pic de la première vague, c'était le nombre d'admissions le plus élevé en une journée. On ne voit pas les effets d'une baisse des contaminations. Il faut prendre de toute façon cette baisse avec des pincettes, car les chiffres du week-end sont instables, les remontées ne sont pas impeccables. Après, si les contaminations baissent, c'est très bien. Mais il y a une inertie pour la réanimation qui est d'une quinzaine de jours, à peu près.
Pour l'Île-de-France, d'après les projections, on aura un pic entre le 16 et le 29 avril
Quelles sont vos craintes ?J'ai trois craintes principales : ouvrir ces lits de réanimation, ça se fait au prix de déprogrammation d'opérations, car quand vous allez chercher du personnel là où il est facile de le mobiliser c’est-à-dire dans les blocs opératoires, vous opérez d'autant moins les patients. Les interventions urgentes sont faites et celles qui peuvent attendre - la prothèse de genoux, la cataracte - attendent, mais à 78 ans, quand on peut plus marcher et qu'on vous dit qu'on ne pourra pas vous opérer avant trois mois... Il y aussi cette chirurgie qui peut attendre un peu, mais pas trop, comme la chirurgie des cancers digestifs par exemple : on sait que si on les décale trop, ces cancers vont progresser et ils seront peut-être trop avancés quand on opérera les patients.
Une autre crainte, c'est la réanimation dégradée : quand vous prenez des infirmiers et médecins qui ne sont pas habitués à faire de la réanimation, et que vous leur faites faire de la réanimation, ils la font moins bien. Car on ne fait bien que ce que l'on fait souvent. La solution dans le futur sera d'avoir une réserve d’infirmiers de réanimation qui tienne la route et de former plus de médecins réanimateurs.
La troisième crainte, c'est de devoir prioriser des patients candidats à la réanimation, non pas en fonction de l'intérêt du patient - ce qui est fait jusqu'à présent - mais d'être obligé de choisir entre deux patients qui pourraient bénéficier de la réanimation. Mais pour l'instant, on n'en est pas là. »
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Emmanuel Macron a annoncé des "renforts supplémentaires" en réanimation pour faire face à l'afflux de malades graves du Covid-19 et passer "dans les prochains jours" à plus de 10.000 lits. Qu'en pensez-vous ?10.000 lits où l'on soit bien soignés par des médecins et des infirmiers compétents en réanimation, ce n'est pas faisable. Il n'y a pas assez de personnels qualifiés, aujourd’hui.
Déprogrammation et malades du cancer - Pour Catherine Simonin, vice-présidente de la Ligue contre le Cancer, « toutes les interventions qui nécessitaient d'avoir recours à la réanimation sont déprogrammées car les lits sont occupés et on n'arrive pas à en trouver. Il faudra attendre et le retard en mois se traduit par plus de mortalité par cancer. » Et d'illustrer par un exemple : « En Île-de-France, une personne devait se faire opérer du pancréas : à J-3, elle a été appelée et on la maintient deux mois de plus sous chimio et radiothérapie, sans savoir quand ils pourront l'opérer. Donc c'est une vraie crise d'anxiété et des pertes de chances à venir.
Nicolas Faucon