Le 10 avril 2016, un coup de fil de La République du Centre à sa dévouée correspondante Renée Bourgeois la soustrait à la torpeur d’un dimanche à Briare. Une rave party est en cours dans la campagne voisine et on lui demande de s’y rendre pour prendre des photos. Renée a alors 78 ans, quand elle décolle.
Un soleil tendre de printemps baigne dans le matin la petite bicoque des Bourgeois, au large du centre-ville de Briare (Loiret), dans une nature presque absolue. Renée est sous la véranda dans le chant des mandarins, son époux Jacques à s’occuper du jardin, entre la Loire coulant juste devant et les premières mésanges dans le ciel bleu.
Renée, 83 ans, 78 au moment des faits, semble heureuse qu’on lui demande de se souvenir. De ce jour fabuleux du dimanche 10 avril 2016, que, fatalement, elle n’a pu voir arriver, "assurément le plus beau reportage de toute ma vie", jure dans un grand sourire la correspondante de presse.
Ce matin-là, tout commence par un coup de fil anodin. "Allô…" La République du Centre a besoin de ses services. Une rave party sauvage s’est tenue la nuit dernière dans la forêt bordant le petit village d’Ousson-sur-Loire, tout près de chez elle, et on lui demande si elle peut aller y prendre des photos.
Quand la septuagénaire chausse ses ballerines, ce matin-là, "pas fièredu tout et pleine de préjugés", elle est loin de se douter que deux bonheurs l’attendent au détour du chemin forestier. Le premier prendra la forme "d’une rencontre inoubliable", le deuxième fera momentanément de Renéela mamie la plus médiatique de France, une grand-mère qui "déchire", pour reprendre ce post parmi des milliers tombés sur les réseaux quelques jours plus tard.
"Je ne viens pas vous embêter..."Déjà, en ce dimanche qui sort de l’ordinaire, et peut-être l’éloigne d’une blanquette de veau sur le feu, elle commence par se perdre. "J’étais en voiture, on me dit que ça se passe à Ousson, dans les bois, mais je ne vois pas où ils peuvent être."
Elle appelle des élus municipaux de ladite commune, et se voit juste répondre "que ça doit être de l’autre côté de la Nationale 7". Renée est bien avancée... Un promeneur lui sauve la mise. "C’est tout droit, vous pouvez pas vous tromper, y a des bagnoles partout sur le bas-côté."
La correspondante de presse est à présent dans le foutoir des voitures."J’ai mon sac à main, mon petit appareil photo et décide d’aller voir un groupe de jeunes. Je travaille pour le journal local, que je leur dis, je ne viens pas vous embêter", leur précise-t-elle, des fois qu’on la confondrait avec un gendarme. Si Renée, alors un peu paumée, eut voulu leur demander de l’aide, elle ne s’y serait pas prise autrement. Les teufeurs, neuf gars, une fille, vont alors la prendre sous leur aile.
"Ils m’ont d’abord expliqué qu’il faut s’enfoncer loin dans les bois. Il faisait beau, mais il avait plu toute la semaine et, moi, comme une idiote, j’étais en ballerines."
C’est alors que la fille me dit, "vous chaussez du combien ?", avant d’aller chercher une paire de bottes dans sa voiture. Charmante, mais c’était du 39, j’étais un peu à l’étroit dedans." Renée (qui fait du 40), ou le sens du détail...
Renée Bourgeois, le jour où elle s'est rendue à la rave party sauvage d'Ousson-sur-Loire. Pas exactement une teufeuse.
Voilà donc notre retraitée (d’une association de lutte contre le cancer) s’enfonçant dans la forêt vicieuse, "avec des trous, des bosses et des flaques d’eau partout", dans les pas d’une bande de teuffeurs insomniaques, qu’elle ne connaît fatalement ni d’Ève ni d’Adam. Chapeau bas, m’dame…
Ils ont fait "le foin toute la nuit"Parce que proche de la région parisienne, rural et forestier, le Loiret est particulièrement prisé par les organisateurs de raves. Illustration : David Creff
"Je suis arrivée à la rave party sur les coups de 11 heures, après biendix minutes de marche, rembobine Renée. Il y avait peut-être 300 jeunes. Beaucoup émergeaient des tentes, après avoir fait le foin toute la nuit, d’autres dansaient encore. La musique était très forte."
"J’ai remarqué que beaucoup avaient les pupilles dilatées. Y en avait qu’avaient dû fumer le pétard, faut bien que jeunesse se passe, après tout !"
Renée Bourgeois
Ses "anges gardiens", comme elle les appelle, sont toujours à ses côtés.Le terrain est accidenté, elle se tient à leurs bras. Les teufeurs ne quitteront pas Renée durant tout son reportage. "De la part de tout le monde, j’ai reçu un accueil merveilleux, ils ont tous été adorables, prévenants. Et moi qui croyais que c’était que des drogués ! Ça a drôlement changé ma vision des choses, ils ont fait preuve d’une grande humanité."
Renée n’oubliera jamais "à quel point, ils ont pris soin de moi, ce jour-là". C’est d’ailleurs eux, les teufeurs, qui ont pris la photo (celle qui est publiée ici), avant de l’envoyer par mail à la correspondante de presse.
La retraitée confesse tout de même une petite frayeur. "Quand ils m’ont raccompagnée à ma voiture, ils ont pris un autre chemin dans la forêt." Renée a alors craint qu’il ne lui arrive des bricoles, d’être détroussée, "alors que rien dans leurs attitudes ne pouvait le laisser présager, mais j’avaissur moi ma carte bancaire, mon chéquier et du liquide, alors bon…"
Arrêtée par les gendarmesDe retour à sa voiture, qu’on lui remet aimablement dans le bon sens,"parce que, moi, j’en aurais été incapable", mamie Renée veut rendre un peu de ce qu’on lui a donné. "Je leur tends des sous, pour qu’ils aillent boireun pot. Ils ont été tellement bienveillants, ça me paraît alors normal." Son escorte refuse, au prétexte "qu’un retraité, ça n’a déjà pas beaucoup d’argent".
Sur la route du retour, de sa maison, Renée est interceptée par les gendarmes. Ils lui font grâce du test d’alcoolémie. Renée n’est d’ailleurs pas plus positive aux substances stupéfiantes, malgré le fait qu’elle soit maintenant, quelque part, dans le camp des teufeurs. A-t-elle seulement dit aux militaires "qu’ils ne font rien de mal, que ça ne dérange personne, au fond, une fête dans les bois ?" L’histoire aurait pu s’arrêter là, mais non…
Les médias de France reprennent son histoire"De retour à la maison, j’appelle ma fille et lui raconte mon aventure. Elleme dit, “c’est trop drôle, faut absolument que tu écrives ça”. Ce que je fais,je l’écris, pour elle et pour moi, comme pour figer ce merveilleux souvenir. Ceci fait, je me dis, pourquoi tu ne l’enverrais pas à la rédaction deLa République du Centre ? On m’avait juste demandé une photo, mais ilsen feront bien ce qu’ils veulent, après tout."
Renée Bourgeois en son joli jardin briarois. Photo : David Creff
Deux jours passent, puis, le mardi, "c’est le coup de tonnerre". Le papierde la correspondante Renée, qu’elle n’attendait pourtant pas, a tapédans l’œil de la rédaction. Le voici publié. Avec son lot de conséquences inattendues. Derrière, c’est Renée Bourgeois qui va assurer le service après-vente, après parution, plutôt.
"Mon histoire est relayée par je ne sais combien de médias, des journalistes de la France entière, même de Belgique, m’appellent ou la reprennent. J’ai dû passer dix jours au téléphone à me répéter."
Renée Bourgeois
La faute, entre autre, à TV5, au Figaro, à Ouest France, La Voix du Nord, LCIou au Nouvel Obs… "Ça, c’est sûr, une mamie dans une rave party sauvage, ça fait le buzz", en rit encore la grand-mère sept fois, depuis sa véranda noyée de soleil. "Pour rigoler, mon petit-fils me disait, alors à quand un article dans Le Monde, et bien, il me semble qu’il y en a eu un aussi dedans."
Dans le chant des oiseaux en leur cage ("La passion de mon mari"), Renée pourrait presque encore sentir le parfum "de l’énorme bouquet de fleurs que la rédactrice en chef de l’époque m’avait fait envoyer chez moi".
Sans doute venait-il couronner l’esprit d’initiative et le courage de l’unedes correspondantes de presse parmi les plus précieuses et attachantesde La République du Centre. À coup sûr, la plus célèbre. Une vedette.
David Creff