Confortablement assis dans son siège bleu, Patrick Christophe ne peut cacher son émotion. Les murs rose et bleu n’ont pas perdu de leur éclat. La toile blanche est toujours à sa place et les fauteuils ne sont plus que sept. Cela fait désormais deux ans que le projecteur est à l’arrêt, mais l’ancien gérant a toujours un pincement au cœur en rentrant dans cette salle vide.
Huit séances par jour pour Un Dîner de consCertains y ont vu pour la première fois le film Titanic et les plus jeunes y ont découvert L’âge de glace. Pendant plus de 25 ans, Patrick Christophe a, lui, passé ses journées ici, rue Pascal, au Lux.
À l’heure des premières séances, il allait derrière son guichet accueillir les clients et leur proposer quelques confiseries. Puis, il fermait la porte et montait par un petit escalier exigu dans sa cabine de projection. De là, il lançait les bandes-annonces, le Pathé journal et enfin le film. Il observait alors les spectateurs plongés dans la pénombre. "J’en ai vu, des premiers baisers !, plaisante-t-il depuis la salle de projection désormais vide. Des petits jeunes qui étaient venus avec leurs parents et qui sont revenus ensuite avec leurs enfants."
Le projectionniste enchaînait ainsi trois à quatre séances par jour. Jusqu’à huit pour la sortie du Dîner de cons de Francis Veber. "C’était épuisant, reconnaît-il. J’étais seul pour tout faire et le soir, il fallait faire le ménage et la compta. Mais c’était passionnant !"
Le problème des bobines...Au rez-de-chaussé, dans la salle des archives, les vieux souvenirs remontent là aussi. Il y a encore de vieilles affiches de films et surtout des centaines de bobines. "Un film pouvait faire entre six et dix bobines, se remémore le 'passeur d’images'. Autant vous dire que le mercredi matin, ça ne chômait pas ! Il fallait les mettre dans l’ordre et à l’endroit avant de les assembler."Pour éviter qu’une scène se retrouve à l’envers, ce passionné de septième art s’organisait d’ailleurs systématiquement une séance privée avant l’arrivée des premiers clients.
"Le problème avec les bobines, c’est qu’elles s’abîmaient vite et comme on se les prêtait entre cinémas, elles arrivaient parfois dans un sale état", regrette l’ancien gérant du Lux, évoquant la diffusion de Sept ans au Tibet de Jean-Jacques Annaud avec un point jaune au milieu de l’écran.
La naissance du ciné-clubDu reste, l’ancien gérant ne garde de ses années Lux que de bons souvenirs. "Et de très belles rencontres !", reconnaît-il.
"Je me souviendrai toujours du jour où j’ai vu arriver ces deux professeurs venus me proposer de créer un ciné-club. Je suis resté un peu dubitatif… Douze ans plus tard, leurs soirées rencontrent toujours un véritable succès et permettent de découvrir des films prodigieux."
En retournant derrière son accueil, qui semble s’être figé dans le temps, le cinéphile est également fier d’avoir tissé des liens forts avec les écoles et l’association Kiwanis, permettant à de nombreux Riomois de venir voir leur première toile au Lux.
Sur Facebook, ils sont d’ailleurs nombreux à se remémorer ces sorties scolaires. "Nous étions allés voir un ancien western, raconte ainsi Élody. On y était allé à pied depuis le collège Jean-Vilar. C’était il y a longtemps mais je m’en souviens encore."
Bientôt un "vide-cinéma"Au fil des années, Patrick Christophe a réussi à habituer les Riomois aux films en anglais dans son cinéma classé Art & Essai. Le nombre d’entrées est passé de 12 à 300 par semaine et une clientèle fidèle s’est formée autour du Lux et de son gérant, qui travaille désormais au cinéma Arcadia.Le bâtiment est aujourd’hui en vente. Et d’ici quelques mois, Patrick Christophe organisera un "vide-cinéma" pour permettre aux passionnés de repartir avec un siège, une bobine ou une affiche. Et à cette occasion, il décrochera sans doute celle de Star Wars, en vitrine depuis 2018. Seule la veille boîte à tickets en bois a été mise de côté. "Elle, je vais l’emmener chez moi, souffle l’ancien gérant. C’est bien trop de souvenirs…"
Jeanne Le Borgne