Lorsqu’on pousse le portail de La Ferme du bonheur, on s’empresse de le refermer par crainte qu’un animal ne s’échappe vers la route voisine, où roulent à vive allure des véhicules. Mais la précaution est sans doute inutile. Car ont-elles réellement envie de se faire la belle, ces bêtes qui reprennent goût à la vie ? Si elles pouvaient parler notre langage, elles répondraient certainement "non".
À Bray-Saint-Aignan, commune comptant à peine 2.000 âmes située dans l’est du Loiret, à une quarantaine de kilomètres d’Orléans, existe un havre de paix pour les animaux de ferme abandonnés ou maltraités.
Au bonheur des bêtesLes propriétaires de ce refuge hors norme, Valérie et Fabrice Moriceau, ont monté leur arche de Noé en 2004, suite à une annonce dans un journal local : "Ayant été sauvée du couloir de la boucherie, je cherche un foyer." Quelques jours plus tard, le couple, ému par ces lignes, achète Tchikita, une belle jument. "Pas du tout sociabilisée", elle devient, à force de soins et d’attention, douce comme un agneau :
Une bête, même si elle a été maltraitée, est toujours capable de redonner de l’amour. Elle est fidèle à ses maîtres. C’est une question de confiance. Il faut beaucoup de douceur et de temps pour ramener un animal à la vie.
Ânes, chèvres, volaille, chevaux, taureaux… Aujourd’hui, les deux quinquagénaires accueillent plus de 300 oiseaux et mammifères, sur un terrain de 4.000 m². Ceux dont les maîtres décèdent ou ne sont plus en capacité de s’occuper ; celles, blessées, apeurées, que leurs propriétaires rudoient.
Du manque de parage des sabots à l’absence de nourriture ou de soins… Que les gens qui constatent des actes de maltraitance n’hésitent pas à nous contacter. Ensuite, nous réalisons une enquête pour vérifier s’il s’agit vraiment de cela. Parfois, la bête est simplement en fin de vie.
Le couple ne se sépare de ses bêtes que pour les placer dans des fermes pédagogiques ou des structures associatives qui les parrainent, afin d’être "sûrs qu’elles soient bien".
"Une bête, même si elle a été maltraitée, est toujours capable de redonner de l’amour", assure Valérie.
Au fil des années, La Ferme du bonheur, qui est désormais une association, s’est fait un nom à travers le département et est devenue essentielle. Lorsque des animaux divaguent sur les routes, les gendarmes comme les élus font régulièrement appel aux Moriceau, d’autant que ces derniers sont équipés d’un lecteur de puce permettant de les identifier.
"Une aide précieuse"Danielle Gressette, maire de Bray-Saint-Aignan, mesure sa chance de disposer d’une telle association dans sa commune, alors qu’elle est souvent confrontée à des chiens errants ou des chevaux prenant la tangente. "Valérie et Fabrice sont d’une aide précieuse. Ce sont des gens compétents et à l’écoute que nous apprécions énormément. Nous savons que nous pouvons compter sur eux à n’importe quel moment", assure-t-elle.
Nul doute que pour ces passionnés, la ferme est un véritable sacerdoce. Une évidence lorsqu’on les voit faire des papouilles à leurs bestioles, en leur parlant d’une voix pleine d’affection.
Il n’y a pas de samedi, pas de dimanche, pas de jour férié, pas de vacances. Tout juste avons-nous pris récemment une semaine de congés pour célébrer nos vingt ans de mariage. Notre engagement est total.
Outre le temps, offrir une existence paisible à ces animaux demande de l’argent à Fabrice et Valérie, lui chauffeur-livreur, elle femme de ménage. Entre la nourriture et les soins, les frais s’élèvent facilement à 40.000 euros par an.
Fort heureusement, certains cabinets vétérinaires soutiennent les Moriceau, des supermarchés leur donnent leurs invendus. En 2020, ils ont aussi reçu une subvention de 500 euros de la part de leur mairie et 150 euros de l’association Familles rurales.Fabrice et son taureau au nom éloquent, Red Bull. Ses anciens propriétaires ont dû s’en séparer car ils ont perdu le terrain sur lequel il était installé.
Le couple collabore également avec des agriculteurs du territoire. "Ils nous fournissent surtout des céréales et nous les en remercions", sourit Fabrice, qui mise sur la solidarité : "Il est si regrettable que dans notre société actuelle, le pognon prenne le pas sur l’entraide."
Un prêt de 6.000 euros à cause du Covid-19Cependant, l’année dernière, l’équilibre financier de la structure a été sacrifiée sur l’autel du Covid-19. Car, d’ordinaire, pour le maintenir, le couple propose des mariages en calèche et une ferme pédagogique itinérante, présentée lors d’événements d’envergure. Deux activités qui n’ont pas pu être maintenues en 2020. "Nous avons dû faire un prêt de 6.000 euros pour soigner nos bêtes", soupirent-ils.
Depuis la pandémie, il est difficile pour Valérie et Fabrice Moriceau de subvenir aux besoins de leurs bêtes, puisque les activités qui leur permettent de financer leur projet sont annulés.
Pas question, pour autant, de laisser tomber la prunelle de leurs yeux. Les amoureux des créatures à poils et à plumes sollicitent les personnes désireuses d’en accueillir en écopâturage, à condition que leur terrain soit clos, qu’il dispose d’un point d’eau et soit situé à dix kilomètres, maximum, de leur domicile. Comme l’explique Fabrice, "c’est tout bénéf’, puisque les prés sont nettoyés naturellement, sans que cela ne coûte rien".
Enfin, le couple, témoin de situations particulièrement atroces, demande aux humains d’être plus responsables et moins lâches : "S’occuper d’un animal demande un plein investissement".
Soutien. Le moteur de leur véhicule étant cassé, Valérie et Fabrice Moriceau cherchent à se procurer, gratuitement, une camionnette utilitaire. Les personnes qui voudraient les aider peuvent les contacter à l'adresse mail la.fermedubonheur@orange.fr, tout comme ceux qui seraient témoins de maltraitance animale.
Anne-Laure Le Jan