Valéry Giscard d’Estaing et l’Auvergne, ce fut une histoire de famille, une histoire de passion, une histoire politique. Jusqu’à la déchirure en 2004.
Rarement une personnalité politique et un territoire auront été aussi liés. Jusqu’à la rupture. Amère.
Jusqu’à ce que l’ancien président de la République confie à La Montagne, sa déception, son amertume, à l’égard des Auvergnats.
Il aura fallu une décennie à l’ancien élu d’Auvergne, président du Conseil régional de 1986 à 2004, pour avouer publiquement son amertume.
Giscard et l'Auvergne : l'interview vérité (26/01/2014)
Près de dix ans après sa défaite aux élections régionales de 2004, en Auvergne, Valéry Giscard d’Estaing déclarait s’être senti « écarté ».
« J’ai quand même été étonné que les Auvergnats ne soient pas plus conscients de ce qui avait été fait pour changer leurs conditions de vie et de travail », expliquait-il alors, surprenant certains de ses fidèles n’ayant pas mesuré à quel point la blessure avait été profonde.
Elections municipales à Clermont-Ferrand perdues en 1995Il aurait voulu que les Auvergnats reconnaissent Vulcania, « l’oeuvre de sa vie », selon lui. La Grande Halle d’Auvergne. « Je me suis dit, les électeurs vont le voir, ça. Non. Ils l’ont vu, mais ils n’ont pas vu qui l’avait fait », commentait-il.
Retour en vidéos sur l'aventure Vulcania (22/03/2017)
L’Auvergne, comme une blessure. La plaie avait déjà été ouverte en 1995 lors des municipales à Clermont-Ferrand, qu’il perdit de 861 voix. Et ce, bien qu’il jura « bénir le ciel de ne pas avoir été » élu maire de Clermont. « Parce qu’étant d’une nature consciencieuse, dira-t-il, je me serais consacré à ce travail et ça m’aurait pris toute mon activité, et je n’aurais rien pu faire d’autre. »
Depuis le printemps 2005, il s’était réfugié à Estaing, dont il avait racheté le château. Trois ans avant de mettre en vente sa propriété à Chanonat, dont le mobilier fut vendu aux enchères en septembre 2012.
Pour expurger sa blessure, Valéry Giscard d’Estaing assure, voir, en Aveyron, des « Auvergnats souriants. Ce qui est une variété rare ! ».
Une histoire de famille, une histoire de passion, une histoire politiqueEt d’insister : « Il y a des pays où les gens dans la rue sourient, on voit des visages souriants. À Clermont, non. Vous avez des visages fermés. Les Aveyronnais, ce sont des Auvergnats souriants. Moi je préfère être au milieu de gens souriants ! » Ces phrases laisseront des traces. Indélébiles.
Malgré cela, indiscutablement, Valéry Giscard d’Estaing et l’Auvergne, c’est une histoire de famille, une histoire de passion, une histoire politique.
Jamais un grand élu n’a autant contribué au rayonnement de l’Auvergne.Bien que né à Coblence, en Allemagne, Valéry Giscard d’Estaing n’a cessé de conserver les liens ancestraux entre sa famille et ce territoire. D’abord en y séjournant enfant. Notamment à Saint-Amant-Tallende, dans ce canton, où reposent en paix ses quatre grands-parents.
« L’enracinement est évidemment très profond », confira-t-il, malgré ses autres formules plus âpres concernant les Auvergnats.
Valéry Giscard d'Estaing : "Les Auvergnats sont des gens très travailleurs, économes, honnêtes" (26/11/2015)
Son père mobilisé, sa famille quittera Paris pour vivre, pour partie, en Auvergne pendant la Deuxième Guerre mondiale. Au 86 avenue de Royat, à Chamalières. Valéry, alors lycéen, étudiera à Blaise-Pascal.
Bien plus tard, il fera l’acquisition de Varvasse, le château familial de Chanonat, acheté par son père au milieu des années 1930.
A partir de 1956, Valéry Giscard d’Estaing, alors jeune inspecteur des finances, s’implante politiquement dans un Puy-de-Dôme paysan, dur à la peine. Marque d’une sensibilité rurale bourgeoise.
« La politique, ce n’est pas un système d’héritage »
Il est élu député sur la liste Indépendants paysans conduite par Joseph Dixmier, l’ancien suppléant de son grand-père Jacques Bardoux.
Pour autant, Valéry Giscard d’Estaing refusera d’être considéré comme le dauphin de son aïeul.
« La politique, ce n’est pas un système d’héritage. Il peut y avoir une culture, on peut se souvenir des choses, mais ça ne se transmet pas comme un bien », affirmera-t-il.
En 1958, il se fait élire conseiller général du canton de Rochefort-Montagne. Jusqu’en 1974. Puis maire de Chamalières en 1967. Une ville marquée du fer de la giscardie, connue dans la France entière pour son célèbre locataire.
Une terre comme une marque de fabriqueL’Auvergne sera la base d’ancrage d’une carrière politique brillante qui va très tôt rayonner au plan national, dans les ministères, jusqu’à l’accession de Valéry Giscard d’Estaing à l’Elysée, en 1974. Une terre comme une marque de fabrique, dont l’ancien président de la République, vivant à Paris l’essentiel de l’année, va beaucoup jouer pour se façonner une image d’Auvergnat à part entière. L’Auvergne, c’est aussi la terre de reconstruction, de la reconquête.
C’est à partir de Chamalières, en 1982, son bâton de pèlerin politique en main, que Valéry Giscard d’Estaing reprend le parcours initiatique, pour renouer avec la vie publique nationale ; preuve indiscutable de son puissant ancrage, qui amènera le conseiller général à devenir député en 1984, puis président du Conseil régional en 1986 (premier président élu), jusqu’en 2004 ; président de l’UDF, président de la Convention européenne…
Une blessure plus « affective »L’Auvergne, c’est aussi la terre de réalisation. Valéry Giscard d’Estaing restera comme l’artisan du plan Massif central, avec l’A75, au milieu des années 1970. Pour autant, il râtera le train de la grande vitesse, s’étant très peu impliqué pour faire venir un TGV jusqu’en Auvergne.
Plus tard, à la Région, il ouvrira le chantier de la modernisation des lycées auvergnats, puis construira la Grande Halle d’Auvergne et le Zénith, et laissera le parc Vulcania.
Malgré toute son implication, toute son action, qui le conduira à maladroitement prôner une fusion entre sa région et le Limousin, l’Auvergne restera une blessure.Après 2004, il n’y reviendra que rarement. Pour décorer quelques proches de la Légion d’honneur. Pour donner de parcimonieuses conférences.
La vente de Varvasse, à Chanonat, viendra parachever un désamour que les urnes auront provoqué. Une déchirure plus « affective » que celle suscitée par sa défaite à la présidentielle en 1981.
« Je me souvenais de la manière dont de Gaulle était parti et quand les Français, également avec une belle ingratitude, l’ont fait partir, commentera-t-il. On a voté le dimanche, et le lundi il a pris toutes ses affaires, tout ce qu’il avait à l’Elysée, il n’avait pas grand-chose, il est monté en voiture, il est parti. Il n’est jamais revenu ». Valéry Giscard d’Estaing n’aura pas totalement réussi à imiter de Gaulle.