A Nairobi, on les surnomme parfois « MPigs ». Une contraction de la prononciation en anglais de l’abréviation de « Member of Parliament » (MP), c’est-à-dire députés, et de « pigs » (cochons), qui témoigne du peu d’estime que les Kényans portent à leurs élus, accusés d’être davantage intéressés à remplir leurs propres poches qu’à améliorer le quotidien de leurs concitoyens.
Parmi les mieux payés au monde
La députation est une place confortable au Kenya, pays en développement où le salaire minimum ne dépasse pas l’équivalent de 116 euros. Les 349 élus de l’Assemblée nationale disposent, eux, d’un forfait mensuel de plus de 10 000 euros (1,2 million de shillings), ce qui les classe, selon une étude internationale de 2013, au deuxième rang mondial des plus hauts salaires de députés : 76 fois le PIB par habitant, contre, par exemple, 2,7 fois au Royaume-Uni. Et il ne s’agit là que de salaire de base. En sus, les députés profitent de nombreux avantages, tels des prêts à taux préférentiels, une allocation – annuelle – pour l’achat d’une voiture ou encore une indemnité pour chaque journée passée à l’Assemblée.
Mais ce n’est pas suffisant. Du moins, si l’on en croit une proposition de loi débattue ces dernières semaines à Nairobi. Ce texte, initialement consacré à des questions administratives, s’est vu ajouter un amendement, non public, qui selon la presse, offrira aussi à la représentation nationale un logement, une voiture officielle, mais aussi une couverture maladie étendue à la « famille élargie ».
Une question d’abnégation, jurent-ils. « Cette proposition de loi vise à s’assurer que les élus sont efficacement pris en charge et qu’ils remplissent au mieux leur mission », a ainsi justifié Jimmy Angwenyi, chef adjoint de la majorité présidentielle.
Les citoyens, eux, entendent bien peu cet argument. D’abord parce qu’ils sont habitués à la cupidité et à la corruption généralisées au sein de leur classe politique. Ensuite parce que la hausse des revenus des députés est une véritable ritournelle.
En 2013, les élus avaient protesté contre une réduction de leurs émoluments, provoquant la colère de la société civile, qui avait manifesté et lâché des cochons devant l’Assemblée. En 2017, un mois après leur élection, les députés ont mis le sujet à l’ordre du jour dès la séance d’ouverture, l’un d’eux évoquant le risque de « périr comme des crétins » si rien n’était fait pour eux.
« Ces députés nous font honte. Dans le même temps, notre pays est obligé d’aller quémander de l’aide à l’étranger ! », un professeur de politiques publiques à l’université
L’intention est particulièrement mal perçue au terme d’une année 2018 marquée, d’un côté, par des scandales de détournement d’argent public et, de l’autre, par une hausse des taxes, justifiée par le gouvernement pour financer des réformes comme la couverture maladie universelle, mais qui a fortement impacté les plus pauvres. « En tant que contribuables, nous savons que nous devrons payer pour ces nouveaux avantages. Et beaucoup de gens n’en peuvent plus, ils sont fatigués, exténués d’entendre des choses négatives », souligne l’analyste politique Nerima Wako-Ojiwa, pour qui la résignation et la peur de la police, particulièrement violente pendant les élections, ont découragé les manifestations publiques.
Les commentaires acerbes ont fleuri, en revanche, sur les réseaux sociaux. « Regardez quelle vie on mène, et pendant ce temps-là les députés sont occupés à augmenter leur salaire. Notre Kenya est plein de politiciens égocentriques », a ainsi posté sur Twitter un habitant du quartier populaire de Kahawa, au nord-est de Nairobi, accompagnant son commentaire d’une photo montrant un chemin boueux, bordé de maisonnettes en tôles. « Ces députés nous font honte », lâche, dans une froide colère, un professeur de politiques publiques à l’université, contacté par téléphone. « Dans le même temps, notre pays est obligé d’aller quémander de l’aide à l’étranger ! »
Le président lui-même a critiqué une manœuvre lancée au sein de sa propre majorité. Uhuru Kenyatta a déclaré, le 5 décembre, qu’il refusera de signer le texte de loi. Hasard ou pas, les députés ont repoussé la troisième et dernière lecture, prévue deux jours plus tard, à la rentrée prochaine. Le temps, peut-être, de tenter de convaincre le chef de l’Etat.
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