Selon Mme Merkel, l'une des raisons principales de l'échec de son parti, la CDU, aux élections législatives de septembre 2017 est "l'inquiétude vis-à-vis des nouvelles technologies". Rapportée par Thomas Wieder dans un tweet en direct du congrès de la CDU lundi 26 février, cette "raison" de leur échec est avancée avec grand sérieux et rompt avec les analyses du jeu politique auxquelles nous sommes si habitués.
Pourtant, dans ces quelques mots de la Chancelière allemande passés presque inaperçus, on y capte un signal faible qui prendra selon toute vraisemblance une ampleur de plus en plus puissante dans les années qui viennent. Ce facteur est, en effet, régulièrement sous-estimé par les analystes et, plus généralement, par nous autres politiques. Dans plusieurs tribunes publiés depuis le début de cette année, nous avons souligné avec Sébastien Vincini cette cause des nouvelles "douleurs contemporaines". Le hiatus existant entre des promesses réelles et les extravagances du transhumanisme déstabilisent profondément nos concitoyens et les organisations sociales. Un sentiment, encore diffus dans l'expression publique, laisse entrevoir les craintes d'une déshumanisation couplée avec un phénomène de spoliation.
Une déshumanisation liée au déploiement très rapide de technologies fortement disruptives par rapport à des repères et des attentes de vies simples et solidement ancrés. Les dernières heures ont laissé entrevoir les réactions prudentes du gouvernement français pour ne pas renforcer cette tendance: essayer de rassurer sur le maintien des petites lignes rurales de chemin de fer, assaut diplomatique envers notre agriculture, plan contre la désertification médicale, priorité donnée à la dynamisation des centres bourgs. Mais elles ont du mal à effacer une image moderniste liée au parisianisme ou au choix stratégique de la métropolisation.
Le mal est plus profond. Il existe une angoisse devant un progrès arrogant qui ne trouve pas son hybridation nécessaire avec les vies simples pour être accepté et partagé. Le mouvement est puissant avec les grandes transitions numérique, démographique, énergétique et l'explosion de l'intelligence artificielle. Faute de trouver dans la politique le tiers de confiance attendu, un climat anxiogène se répand. Il est entretenu par des faits concrets ou fantasmés. Sont mis en cause les éléments de base de la vie quotidienne: alimentation, médicament, événements météorologiques ou climatiques (souvent assimilés), sécurité... et le futur apparaît plus incertain encore: le monde des robots et son cortège de suppressions d'emplois, sans oublier les dérèglements géopolitiques. En vue, le chaos, pourrait-on résumer d'entrait brutal.
A cette peur, face aux risques de vies déshumanisées, se greffe une impression encore imprécise d'un phénomène de spoliation. C'est le cas, par exemple, avec la question des données personnelles (qui nous oblige à penser un droit à l'intimité numérique) lesquelles échappent pour une grande part aux citoyens et à l'intérêt général pour être détournées au seul profit des plateformes numériques et des "gagnants" du système.
Dans ce contexte de profonde mutation sociétale, le territoire se montre un révélateur, car il est l'espace de l'activité et de la vie. La perte de sens se traduit dans sa destructuration. Pourtant, c'est par lui aussi que s'annonce la reconstruction.
Mme Merkel a bien raison de pointer ce grave problème qui peut, à court terme, mettre en cause la cohésion sociale. Pour ma part, j'y vois un enjeu stratégique pour la gauche qui peut déboucher demain sur une vision nouvelle, moderne, de la social-démocratie.
Il s'agit bien de résister à un phénomène déshumanisant et de spoliation. Les territoires sont le premier lieu de cette résistance, de même qu'ils sont les porteurs d'organisations futures permises par un usage équilibré des technologies, comme on l'entrevoir avec les développements de la télé médecine, du télé travail, de l'économie circulaire, des nouvelles mobilités et toutes les réponses créatives qui émergent dans ces bassins de vie que sont nos territoires. C'est le sens de notre proposition de Modèle productif écologique des Nouveaux Possibles.
C'est à une véritable révolution culturelle que la gauche et les progressistes doivent s'atteler. A ceux qui doutent, le cinquantième anniversaire de Mai 68 peut fournir des indices. Les changements profonds de société (hier l'entrée dans la société de consommation, aujourd'hui dans celle du numérique et de l'intelligence artificielle) provoquent aussi des transformations des forces politiques. Le parti d'Epinay n'est-il pas né en 1971 alors que le vieux Parti socialiste ne mordait plus sur l'électorat ?
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