ÉDUCATION - "Il n'est pas tout à fait normal que n'importe qui puisse ouvrir une école", a indiqué ce vendredi 23 février Jean-Michel Blanquer à l'antenne de BFMTV. Le renforcement des contrôles sur les écoles dites hors contrat fait partie des mesures du plan anti-radicalisation présenté ce vendredi 23 février par le premier ministre Edouard Philippe. Mais la radicalisation n'est pas le seul écueil que le gouvernement souhaite éviter.
Les écoles privés hors contrats sont des établissements qui n'ont pas signé d'accord avec l'Etat, comme les écoles Montessori ou certains établissements confessionnels. Elles profitent d'une plus grande liberté sur le choix des méthodes pédagogiques mais aussi du programme scolaire qu'elles ne sont pas tenues d'appliquer. Seule obligation vis à vis de l'Etat? L'enseignement "doit permettre aux enfants d'acquérir les connaissances du socle commun de connaissances."
En 2016, on dénombrait environ 1300 établissements privés hors contrat, avec 74.000 scolarisés à la rentrée 2017. Face aux 12 millions d'élèves scolarisés en France, le chiffre semble dérisoire. Pourtant, le concept séduit de plus en plus.
À la rentrée 2017, un rapport de la Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (rattachée au ministère de l'Education nationale) soulignait qu'alors que le nombre d'élèves diminuait sensiblement dans les établissements publics, les écoles privées hors contrat avaient au contraire le vent en poupe, avec environ 5000 élèves supplémentaires par rapport à la rentrée 2016. En 2017, ce sont 150 nouveaux établissements hors contrats qui ont ouvert leurs portes, a d'ailleurs confirmé Edouard Philippe ce vendredi.
Plus libres que les autres établissements, ces écoles sont cependant soumises à des contrôles de l'Education nationale, afin de vérifier que l'enseignement est conforme au "socle commun de connaissance" et qu'il ne comporte "rien de contraire à la République et au respect des lois."
Ce sont justement ces contrôles qui, menés de façon inopinée, ont permis de mettre en exergue les difficultés propres à ces établissements. "On a vu se déployer ces dernières années l'enseignement hors contrat avec des phénomènes de dérives, notamment fondamentalistes", a encore déclaré sur BFMTV le ministre de l'Éducation Jean-Michel Blanquer. "Nous devons protéger les enfants contre des initiatives qui aboutissent à les embrigader", a-t-il insisté. Une déclaration qui ne se limite pas qu'au contexte de la radicalisation islamiste.
Des problèmes de radicalisation...
En 2016, on estimait à environ 300 le nombre d'école confessionnelles hors contrats en France: 160 de confession catholique, 50 de confession juive, 40 de confession musulmane et 30 protestantes. Dans le climat de menace terroriste, ces écoles font l'objet d'une attention particulière des services de l'État.
Preuve en est, l'exemple de l'école de confession musulmane Al-Badr de Toulouse, citée par la sénatrice Françoise Gatel, à l'origine de la proposition de loi adoptée par le Sénat et intégrée au plan "Prévenir pour protéger", qui vise justement à renforcer l'encadrement des écoles hors contrats.
Ma proposition de loi renforçant le contrôle des écoles privées hors contrat, adoptée mercredi au @Senat, est intégrée au plan de prévention contre la #radicalisation du gouvernement @EPhilippePM@jmblanquer@UC_Senat@HerveMarseille@gerard_larcher@publicsenat@afpfrpic.twitter.com/lRYnJayLYH
— Françoise GATEL (@FrancoiseGatel) 23 février 2018
Le litige commence en avril 2015, lorsque des inspecteurs de l'académie constatent au cours d'un contrôle que l'école ne respecte "ni le droit de l'enfant à l'instruction, ni l'objet de l'instruction obligatoire". Les parents sont invités à scolariser leurs enfants dans un autre établissement.
"Ils nous reprochent qu'il n'y ait pas d'instruction, qu'il y ait beaucoup d'arabe et de Coran et qu'on entraîne les enfants au tir. Les élèves vont au Laser Game comme ils vont en sorties scolaires à la piscine, à Walibi ou à la Cité de l'espace. Quand c'est une école publique, il n'y a pas de problème, mais quand c'est une école confessionnelle musulmane, on vous dit qu'on leur apprend à tirer", se défend de son côté le directeur de l'établissement Abdel Fattah Rahhaoui.
En décembre 2016, le tribunal correction de Toulouse demande la fermeture immédiate de l'établissement, qui obtempère au mois de février 2017. Pourtant, en août, le tribunal administratif de Toulouse annule la décision du tribunal correctionnel. Au grand dam de Françoise Gatel.
"Le procureur de la République, le préfet, le maire se sont trouvés dépourvus face au refus d'obtempérer à la décision de fermeture du directeur de l'établissement, après le jugement du tribunal correctionnel", a-t-elle dit. "Fermée, elle a été rouverte, avec les mêmes enseignants", a dénoncé Françoise Gatel, selon laquelle "plusieurs membres de l'équipe étaient fichés S".
La proposition de loi Gatel prône un contrôle annuel de chaque établissement hors contrat, et prévoit que les services de l'Éducation nationale préviennent le préfet et le procureur de la République s'il apparaît que l'enseignement dispensé est contraire à la moralité, aux lois, ou que des activités menées au sein de l'établissement sont de nature à troubler l'ordre public. Adoptée avec 240 voix pour au Sénat, elle est cependant dénoncé par les élus de l'opposition, qui la juge insuffisante ou au contraire trop restrictive.
#Danger législatif de strangulation des #ecoleshorscontrat. #Danger pour le #Puydufou. Lire le remarquable article d' #AnneCoffinier :
— Philippe de Villiers (@PhdeVilliers) 12 février 2018
«Les écoles libres hors contrat : précieuses et menacées, même dans la France de 2018!» https://t.co/rJFx0tTsK4 via @FigaroVox
...mais aussi des problèmes pédagogiques
"On craint souvent la dérive sectaire, mais sur le terrain, on se confronte plutôt à des problèmes d'ordre pédagogique". Le constat du porte-parole du premier syndicat des inspecteurs académiques SIEN-UNSA, interrogé par le Mondeen 2016 est révélateur: si les écoles confessionnelles sont particulièrement surveillées dans le climat actuel, les dérives ne sont pas toujours en lien avec la religion. Les méthodes pédagogiques, le non-respect du socle d'enseignement commun, ainsi que les valeurs promues par les écoles sont aussi dans le viseur du gouvernement.
En mars 2017, les notes de synthèse d'une inspectrice publiées par Le Monde venaient en effet confirmer ce constat. Au sein de l'académie de Versailles, qui compte une centaine d'écoles hors contrat, l'inspectrice relevait en effet de nombreuses "dérives" pédagogiques. Elle décrivait ainsi un manuel apprenant que "Pétain a sauvé la France", des pages d'un cours sur la contraception collées entre elles, des pans entiers de l'histoire rayés des frises chronologiques. "Aucune des écoles contrôlées n'a fait référence au socle commun de connaissances, de compétences et de culture", précisait-elle.
Le contenu de l'enseignement n'était pas le seul à être remis en question. "Les dimensions pédagogiques sont détournées de leurs enjeux et amputées de ce qui les fonde théoriquement", notait l'inspectrice, qui faisait état de classes "passives", où l'esprit d'initiative n'était pas encouragé au profit de "l'assimilation, l'obéissance, la soumission".
À Angers et à Nancy, les projets d'ouverture d'écoles privées hors contrat sous l'égide de l'association "Espérances banlieues", ont aussi fait grincer des dents. Les opposants aux projets faisait notamment valoir les liens de la direction de l'association avec la Manif Pour Tous. "Derrière l'image lisse de ce réseau, se cachent des mouvements réactionnaires comme la Manif pour Tous", dénonçait ainsi dans France Bleu un des opposants au projet à Nancy.
Ce n'est pas la première fois que le gouvernement tente de renforcer sa surveillance sur les écoles hors-contrats. Le projet de loi "Égalité et citoyenneté" adopté fin 2016, prévoyait déjà des contrôles renforcés dans ces établissements, soumis à un régime d'autorisation et non plus de déclaration. Mais cette mesure avait été censurée par le Conseil constitutionnel, preuve de la difficulté à trancher entre la liberté d'enseignement et les dérives qui peuvent en découler.
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