Chaque Saint-Valentin transporte son lot de déclarations d'amour inattendues, joyeuses et passionnées. Pour les heureux dont le cœur est déjà pris, le 14 février est le moment rêvé de rappeler avec force toute la tendresse que l'on porte à l'autre. Bernard Guetta, chroniqueur géopolitique à France Inter, n'aurait su rater cette belle occasion et intitula sa déclaration du jour: "le grand rêve d'Emmanuel Macron". Dans cette chronique, Bernard Guetta nous explique que le monde a changé, que les vieux clivages politiques d'hier sont morts, et que toutes les fractures qui traversent aujourd'hui le continent européen peuvent se réduire à une seule: les pro-européens, défenseurs du libre échange et porteurs de "l'ambition de forger une Europe politique" face aux réactionnaires, souverainistes et protectionnistes.
D'un côté, la grande alliance des libéraux, de l'autre la foule haineuse des nationalistes. D'un côté, les bons, de l'autre les méchants. Dans cette lutte à l'issue incertaine et dangereuse, Emmanuel Macron incarnerait, pour le journaliste, le héraut des libéraux dont il pourrait faire la synthèse et ainsi faire rempart à la montée croissante de tous les populismes en Europe. Cela ne vous rappelle rien? Un air de déjà vu, peut-être? Tout au long de la campagne présidentielle, le candidat Emmanuel Macron n'a cessé de dépolitiser le débat: le clivage entre la droite et la gauche n'aurait plus de sens et seuls le "pragmatisme" et le "bon sens" devraient demain gouverner la France. Face à la candidate du Front national réactionnaire, anti-moderne, xénophobe et nationaliste, Emmanuel Macron se présenta aux Français comme le candidat ouvert, humaniste, européen, moderne et progressiste. Face à la crainte et au danger Le Pen, les Français n'avaient pas le choix: il fallait, et ce dès le premier tour, se tourner vers l'étendard Macron.
Ce n'est pas sur le rêve d'une société nouvelle qu'a été élu Emmanuel Macron, mais sur la menace d'un monde prêt à se défaire.
Disons-le simplement: ce n'est pas sur le rêve d'une société nouvelle qu'a été élu Emmanuel Macron, mais sur la menace d'un monde prêt à se défaire. Sa posture progressiste lui fit beaucoup promettre: aux migrants, il rappela avec émotion la tradition d'accueil de la France, aux retraités, il promit la sauvegarde de leur pouvoir d'achat, aux jeunes il promit l'émancipation et la réussite, à tous les Français, l'apaisement et la concorde. Si les promesses font parfois la force d'un candidat, seuls les actes d'un Président révèle la nature réelle de son projet politique. Que constate-t-on? Que toutes ses décisions vont à l'encontre du mythe Macron défendu ce matin-là, contre toute évidence, par Bernard Guetta. Sur les migrants? Il mène une politique répressive qui vise avant toute chose à dissuader toute personne, fût-elle en détresse, de trouver refuge sur notre sol. Sur les retraités? Il augmente la CSG au moment même où il supprime l'ISF. Sur les jeunes? Il diminue les APL et ne fait plus du bac le passeport naturel d'entrée à l'université. Sur l'apaisement et la concorde? Il réduit les budgets de la santé, laisse ainsi la situation se dégrader, comme elle se dégrade dans nos prisons surpeuplées, comme dans nos associations qui souffrent de la perte des contrats aidés. Mais de tout cela, Bernard Guetta ne dit mot et continue de faire la promotion d'Emmanuel Macron.
Auditeur chaque matin de France Inter, j'aimerais que Bernard Guetta fasse une chronique sur les raisons profondes de la montée, partout en Europe, des courants xénophobes et nationalistes. Il découvrirait alors peut-être que les politiques libérales sont le formidable moteur de tous les partis populistes et nationalistes. Qui peut décemment ignorer le lien qui existe entre la crise du système libéral et la montée du populisme en Europe?
Auditeur chaque matin de France Inter, j'aimerais que Bernard Guetta fasse une chronique sur les raisons profondes de la montée des courants xénophobes et nationalistes. Il découvrirait que les politiques libérales sont le formidable moteur de tous les partis populistes.
Qui peut décemment ignorer que l'incapacité des politiques libérales à résoudre le chômage de masse, la pauvreté, les inégalités nourrissent la frustration sociale, le sentiment de dépossession et de haine au cœur des discours populistes? Qui peut décemment ignorer que le libéralisme a renforcé l'individualisme et le consumérisme au détriment de toutes les formes de solidarité et de partage? Oui, il serait temps d'admettre que les excès toujours renforcés du libéralisme et la montée en puissance des nationalistes sont les deux versants d'une même pièce. Par la politique qu'il mène, Emmanuel Macron renforce ceux contre lesquels il prétend lutter. C'est l'indifférence des libéraux à la question sociale qui fait aujourd'hui la force des populismes. Mais de cela, encore, Bernard Guetta ne dit mot, comme il ne dit rien des grandes mutations à l'oeuvre, comme il ne dit rien des périls écologiques qui devraient être la raison première du rassemblement de tous les Européens.
Si nous ne faisons rien, en effet, il ne restera bientôt que ce clivage surexploité avec indécence, ce choix maudit entre la guerre et la paix. Mais ce que ne dit pas Bernard Guetta, c'est que l'Europe n'en est pas là et que s'agite aujourd'hui en son sein d'autres forces qui n'ont pas l'intention de laisser l'Europe aux mains des libéraux et des nationalistes. Croyez-le ou non, monsieur Guetta, mais ces forces sont constituées de tous les partis de gauche en Europe qui n'ont pas cédé à l'idéal qui fut le leur: celui du progrès, de la justice sociale, de la lutte acharnée pour la préservation de notre planète, du refus de l'abandon face à la pauvreté, aux inégalités et à la désespérance. Ces forces-là aussi se font des déclarations en ce jour et elles ont compris qu'il ne sera pas de combat gagné sans alliance. Depuis plusieurs mois, les représentants de Génération.s, de Diem25, de Sinn Fein, de Syriza se rencontrent, échangent, discutent, négocient et travaillent à l'alliance des gauches et des progressistes lors des prochaines élections européennes.
Est-ce le journaliste vigilant qui parle ou le commentateur conquis qui répète des éléments de langage? Qu'est devenu le militant trotskyste que vous fûtes et dont toute injustice troublait le repos?
Très curieusement, Bernard Guetta conclut: "on pourrait poser un premier jalon: réunir dans un seul et même groupe des centristes, des verts, des modérés de la droite et de la gauche et les élus français d'En marche. On n'y est pas mais cela n'est pas injouable et c'est ce qu'Emmanuel Macron voudrait tenter". Qui est ce "on", monsieur Guetta? Est-ce toujours le journaliste attentif et vigilant qui parle ou le commentateur conquis qui répète des éléments de langage rodés? Qu'est devenu le militant trotskyste que vous fûtes et dont toute injustice troublait le repos? Et si ce militant a disparu, pourquoi l'Européen sincère que vous êtes n'a-t-il pas le souci de mettre en avant les alternatives politiques qui existent aujourd'hui entre ceux qui veulent et aiment l'Europe? Bernard Guetta, nous ne partageons pas votre amour pour Emmanuel Macron et votre rêve, certainement, ne sera jamais le nôtre. Mais de cela non plus, on peut craindre que vous n'en direz mot.
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