Le malheur des malades du rein fait le bonheur des mafieux de la dialyse. Une mafia bien rodée qui entretient un business florissant où fournisseurs, pharmaciens, techniciens, néphrologues, hommes d’affaires et délégués médicaux se disputent férocement un marché annuel estimé à près de 20 milliards cfa de chiffre d’affaires. En plus de l’enveloppe de 9 milliards Cfa débloquée par l’Etat du Sénégal pour la prise en charge gratuite de séances de dialyse au profit de quelques 1000 malades souffrant d’insuffisance rénale. Pendant ce temps, les maffieux de la dialyse sont accusés d’avoir freiné l’activité de la transplantation rénale. Une accusation qui semble justifier l’interruption des opérations de greffe rénale, faute de subvention durable de l’Etat. « Le Témoin » a enquêté
Dans une de ses éditions, « Le Témoin » avait déploré l’absence de subventions publiques qui semble freiner le développement de la transplantation rénale alors que des centaines de malades du rein prennent leur mal en patience dans l’espoir d’être greffés. Pourtant l’espoir était permis au moment où l’hôpital militaire de Ouakam (Hmo), seul établissement accrédité, a réussi à réaliser successivement quatre (04) autres transplantations rénales entre novembre 2023 et juillet 2024. Un exploit qui a fait entrer le Sénégal dans l’histoire puisqu’il s’agit d’un grand progrès de l’expertise chirurgicale sénégalaise.
Hélas ! Depuis lors, aucune opération de transplantation rénale n’a été effectuée. Tout est à l’arrêt ! En effet, l’activité peine à prendre son envol chirurgical par manque de moyens financiers. D’où le récent plaidoyer des spécialistes du rein pour une subvention durable de l’Etat afin de permettre à tous les malades d’avoir accès à la greffe de rein et à moindre coût
« Depuis les premières greffes, l’activité n’a pas connu l’essor voulu ou escompté pour la bonne et simple raison que pour le moment la transplantation rénale n’est pas prise en charge par l’Etat. Il n’y a pas encore une subvention dédiée pour la transplantation rénale. Toutes les transplantations ont été prises en charge parla direction de l’hôpital militaire deOuakam (Hmo). Un suivi médical très couteux qui ne pouvait pas continuer », avaient déploré certains spécialistes du consortium Hmo/Le Dantec dans les colonnes du quotidien « Le Témoin ».
Dès la parution de l’édition en question, les langues se sont déliées au point de pousser notre curiosité et savoir ce qui plombe réellement l’activité des transplantations rénales. D’abord, il est triste de constater que près de 900.000 sénégalais souffrent de la maladie rénale dont les séances de dialyse constituent un lourd fardeau financier insoutenable. Il est vrai que chaque année, l’Etat débloque une enveloppe de prés 9 milliards cfa pour la gratuité des séances de dialyse au profit de 1.000 patients.
Pour le reste des malades du rein à savoir les quelques 850.000 patients, c’est le branle-bas de combat entre les centres publics et privés d’hémodialyse pour la survie quotidienne. Evidemment la vie de tous les jours passe par la dialyse dont le prix de la séance varie entre 60.000 CFA et 120.000 cfa. Entre deux séances, le patient est en sursis, en survie et chaque dialyse insuffle une dose voire une journée de vie supplémentaire. Ce qui justifie que le marché sénégalais du rein est très florissant ! En poussant ses investigations, « Le Témoin » a appris que chaque année, le marché du rein s’articule autour de 20 milliards de chiffres d’affaires. Et y compris les 9 milliards cfa de l’Etat pour la gratuité des cas sociaux.
Cette manne financière a installé une mafia bien rodée et entretenue par des fournisseurs, pharmaciens, techniciens, néphrologues, hommes d’affaires et délégués médicaux. Tout un beau ou « mauvais » monde qui se dispute férocement le gros marché de la dialyse.
Pour de nombreux administrateurs de services de santé contactés par « Le Témoin », l’interruption ou l’arrêt de l’activité de la transplantation rénale ne profite qu’aux maffieux de la dialyse ou marchands de vie. Parce qu’à long terme pensent-ils, la transplantation rénale, qui reste le seul traitement de choix de l’insuffisance rénale chronique, peut freiner l’essor du business de la dialyse.
Toujours est-il qu’au lendemain de l’exploit de la première greffe rénale réalisée à l’Hmo, des réseaux de la mafia dénonçaient tout bas ce qu’ils qualifiaient de « discrimination » dans l’attribution des agréments pour la transplantation rénale au Sénégal.
Les marchands de vie se frottent les mains !
Selon l’avis d’un administrateur de santé et directeur d’un hôpital public à Dakar, les difficultés financières auxquelles sont confrontées les équipes médicales et chirurgicales du consortium Hmo/Le Dantec sont réelles !
« Mais l’obstacle financier n’est pas la seule cause de la discontinuité de l’activité de la greffe rénale. À l’image de la Côte d’Ivoire, la cause majeure est à trouver dans la précipitation pour dire que telle ou telle structure a été la première à la pratiquer au Sénégal. D’ailleurs en Côte d’Ivoire, la transplantation rénale a tourné cours faute de moyens ! La précipitation en a été la principale cause » estime-t-il.
Au Sénégal poursuit-il, il y a un énorme biais dans la sélection des structures à agréer. « Parce que les membres du comité de sélection font partie de l’équipe de Hmo. Comment Hmo peut-il être associé à Le Dantec qui n’existe plus! Pendant ce temps, il y a d’autres cliniques privées et structures publiques plus prêtes et plus équipées à faire la transplantation rénale, mais elles n’ont pas été équitablement évaluées. Il ne s’agit pas seulement de disposer des équipements pour opérer. Il faut et surtout avoir tout le dispositif pour assurer la surveillance appropriée après la greffe.
Les trois piliers de la surveillance des malades greffés sont : une Irm pour l’imagerie, l’anatomie pathologie capable de faire de l’immun histochimie et un laboratoire de biologie de pointe. Si le Sénégal veut réussir le pari d’une transplantation équitablement accessible, il faut un comité de sélection impartiale pour évaluer objectivement les candidatures afin de multiplier les sites.
C’est une bonne façon de rendre possible la pratique en route de l’intervention et de réduire les coûts pour que l’Etat puisse les subventionner de façon efficiente. Il faut rappeler que la transplantation est le seul moyen voire remède pour soulager les malades et les finances publiques. A défaut de généraliser la transplantation rénale, la mafia de la dialyse a encore de beaux jours devant elle ! » déplore notre administrateur de santé, histoire de reconnaitre que la greffe est plus économique que la dialyse.
En plus de sauver des vies, reconnait il, la greffe rénale, moins coûteuse que la dialyse, permettrait aussi de réduire le chiffre d’affaires du marché sénégalais du rein où les malades, parents et accompagnants sont financièrement ruinés par les inhumains marchands de vie. Une triste réalité dès lors que la prise en charge des malades du rein est un véritable serpent de mer dans les politiques de santé communautaire au Sénégal.
L’Ofnac aux trousses d’une mafia !
La preuve, l’Ofnac avait épinglé dans ses rapports les mafieux de la dialyse. Au-delà des surfacturations dans l’achat des kits de dialyse par l’Agence de la Couverture Maladie Universelle, les médicaments, les intrants et autres accessoires d’hémodialyse subventionnés sont revendus dans les pays de la sous-région.
Et l’enquête de l’Ofnac a révélé des pratiques frauduleuses, de corruption, d’abus de confiance et de violation d’une convention Etat-privé dans le cadre de la prise en charge de la maladie rénale chronique. Bref, l’Ofnac a mis à nu les activités criminelles de la mafia de la dialyse dont les acteurs, auteurs, rabatteurs, complices et receleurs s’enrichissaient illicitement dans les détournements de fonds publics et dans les conflits d’intérêts.
Malgré le scandale, le business du rein est aujourd’hui plus que florissant ! Un marché qui pèse annuellement près de 20 milliards cfa et qui suscite des convoitises jusqu’à « torpiller » l’activité de la transplantation rénale.