Vendredi dernier, les postes d’observation de l’armée israélienne dans le Golan ont repéré des mouvements inhabituels parmi les soldats de l’armée syrienne stationnés à quelques centaines de mètres plus à l’est, au-delà de la zone démilitarisée séparant les deux frontières, connue sous les appellations de « ligne Alpha » (côté israélien) et« ligne Bravo » (côté syrien). Cette zone, située sur le plateau du Golan, est placée sous la supervision militaire de la Force des Nations Unies chargée d’observer le désengagement (UNDOF) et bénéficie d’une administration civile syrienne.
Dans le cadre de l’accord de désengagement signé en 1974, deux zones de réduction des forces militaires ont été définies de part et d’autre de cette zone tampon, chacune d’environ dix kilomètres de large. Dans la première zone, chaque partie est autorisée à déployer jusqu’à 75 chars et 6 000 soldats, tandis que dans la deuxième zone, il est permis de positionner jusqu’à 450 chars. En outre, il a été strictement convenu qu’aucun missile sol-air ne serait positionné à moins de 25 kilomètres des lignes de séparation, afin de prévenir toute escalade militaire. Pour Israël, cependant, cet équilibre fragile, garantissant une sécurité relative dans cette région sensible, a cessé d’exister à partir du moment où Bachar el-Assad a perdu le contrôle effectif de certaines parties de la Syrie, transférant de facto ses pouvoirs à des acteurs multiples, inconnus et imprévisibles, dont les intentions demeurent incertaines. Ce vide de pouvoir a ajouté une dimension d’instabilité supplémentaire, rendant les engagements passés de plus en plus difficiles à maintenir sur le terrain.
Les militaires syriens, stationnés dans des postes avancés répartis dans la région, ont été observés en train de quitter leurs positions face à la progression des rebelles syriens. Consciente de l’urgence de la situation, l’armée israélienne a donné l’ordre à la division 210 (« Bashan », la division territoriale relevant du Commandement Nord, chargée de la surveillance et de la défense de la frontière avec la Syrie) d’agir rapidement. Le commandant de la division, le brigadier général Yaïr Péli, connaît parfaitement la région. Il habite encore le village où il est né, situé en plein milieu du plateau du Golan, à 5 km de la frontière syrienne. Péli a effectué l’essentiel de son service militaire au sein du régiment Golani (en hébreu « du Golan »), l’unité d’infanterie par excellence du Commandement Nord. En moins de 24 heures, les forces israéliennes se sont déplacées vers l’est, ont franchi la barrière frontalière et pris le contrôle de larges zones stratégiques dans la zone tampon.
Actuellement, quatre groupements tactiques (équipes de combat interarmées) opèrent dans la zone tampon sous la direction de la division. Ces équipes comprennent des forces issues de la brigade des parachutistes, de l’unité Yahalom (spécialisée dans le déminage et la guerre souterraine), des brigades blindées 188 et 7, des forces spéciales, des unités du génie et des équipes de renseignement et de reconnaissance. Cette mission vise à établir une défense proactive dans la zone tampon, à éliminer les menaces à la frontière et, surtout, à empêcher d’autres éléments armés de s’emparer des positions syriennes et de s’y maintenir.
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L’un des groupements principaux, celui de la brigade territoriale 474, continue de tenir des positions clés dans la zone. Lors des patrouilles, les forces ont découvert et confisqué plusieurs chars syriens laissés à l’abandon. Pendant ce temps, d’autres unités mènent des opérations complémentaires. Par exemple, les forces de la brigade de montagne 810 et les combattants de l’unité Shaldag, une unité d’élite de l’armée de l’Air, ont récemment terminé une opération sur le mont Hermon, dans la partie syrienne de la zone tampon. Cette mission a conduit à la saisie d’un poste militaire syrien situé au sommet le plus élevé de la montagne, offrant un champ de vue (de radar et d’écoute) ininterrompu sur le Liban et la Syrie, jusqu’à Damas.
L’une des priorités de Tsahal dans cette opération était le contrôle d’un poste syrien situé sur la colline de Tel Qudna. Ce point offre une vue dominante sur de vastes portions du plateau du Golan israélien. Pendant la guerre civile, des échanges de tirs avaient déjà eu lieu entre les forces israéliennes et syriennes dans cette région. Les parachutistes ont été déployés pour sécuriser ce poste, déjà abandonné par les soldats syriens. Sur place, les forces israéliennes ont trouvé des équipements militaires dont une partie était orientée vers l’ouest, en direction d’Israël, tandis que d’autres visaient l’est, indiquant une préparation en vue de l’arrivée des rebelles.
Les soldats israéliens ont découvert les postes abandonnés dans un état de délabrement avancé. Ces installations rudimentaires étaient dépourvues d’électricité et d’eau. Les soldats syriens semblaient y allumer des feux pour se réchauffer – l’hiver il neige et il fait très froid sur le plateau battu par les vents.
Malgré l’urgence et les incertitudes, Israël insiste sur le caractère temporaire de cette occupation. Les forces sur le terrain ont reçu pour consigne de ne pas intervenir dans les conflits internes syriens, sauf si ces derniers menacent directement les soldats ou les localités israéliens.
Un journaliste d’Haaretz qui a accompagné les forces israéliennes dans la zone démilitarisée, témoigne de la surprise des forces israéliennes face à l’état déplorable des infrastructures militaires syriennes et la faible résistance des soldats syriens, qui semblent avoir abandonné leurs positions en toute hâte. Cette découverte a remis en question les scénarios de menace anticipés par Tsahal concernant l’armée syrienne. Contrairement à des groupes comme le Hamas ou le Hezbollah, qui disposent de forces bien organisées et bien équipées, l’armée syrienne s’est révélée particulièrement faible dans cette région. Pendant des décennies, des générations de militaires israéliens se préparaient à prendre ces positions construites et défendues selon la doctrine soviétique. Ces mythiques « pitas syriens » méritent un petit détour.
Tout commence par le choix d’une colline (d’où leur nom en hébreu « pita », probablement dérivé du mot français « piton »), point névralgique du dispositif. Au sommet de la colline, sont construits les bâtiments principaux : des logements pour les soldats, des installations logistiques et des centres de commandement. Autour de la colline, des tranchées sont creusées pour former un premier cercle défensif. Ces tranchées, parfois profondes et larges, servent à protéger les soldats des tirs ennemis tout en leur offrant des points de tir sécurisés. Plus le poste est important, plus ce réseau de tranchées s’étend. Parallèlement, des talus de terre sont élevés pour offrir une dissimulation supplémentaire contre les tirs d’artillerie et les frappes aériennes.
Dans ces tranchées sont aménagées des positions spécifiques en béton : des postes pour tireurs d’élite, des positions pour mitrailleuses protégées par des abris supérieurs permettant un feu d’enfilade, des postes d’observation et, surtout, des emplacements pour missiles antichars. Ces dernières positions sont particulièrement distinctives, car elles sont ouvertes à l’arrière pour permettre l’évacuation des gaz produits lors du lancement.
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Au-dessus des tranchées, une route circulaire est souvent aménagée. Elle est dissimulée par un talus qui protège les mouvements des véhicules blindés des regards ennemis. Cette route est essentielle pour les manœuvres de chars, qui peuvent se déplacer rapidement autour du poste, répondre à une attaque depuis plusieurs directions ou se replier vers des positions défensives.
Les positions des chars le long de cette route sont soigneusement étudiées. Une configuration particulièrement ingénieuse, appelée « rampe de police », permet au char de rester caché jusqu’à ce qu’il atteigne un point de tir idéal. En montant une rampe inclinée, le canon du char est orienté vers l’extérieur à travers une ouverture discrète. Une fois au sommet de la rampe, le char peut tirer tout en restant partiellement dissimulé, avant de redescendre et de se repositionner derrière le talus.
Pour compléter ces dispositifs mobiles, des « chars enterrés » sont parfois installés autour du poste. Ces chars, immobilisés et enfouis dans le sol, ont leur canon orienté vers l’extérieur, prêt à tirer sur une menace. Ce système, bien que fixe, permet d’accroître la puissance de feu et d’assurer une défense continue, même si les blindés mobiles doivent se déplacer pour répondre à une attaque ailleurs. Jadis considérés comme des obstacles redoutables, ces « pita » ont été laissés à l’abandon bien avant la chute du régime, témoignant d’un long processus de déliquescence de l’armée de terre d’Assad et de la marginalisation de ce front dans les priorités du régime depuis le déclenchement de la guerre civile. Pendant la dernière décennie, le Golan a davantage intéressé le Hezbollah et l’Iran que le gouvernement syrien.
Jusqu’à l’offensive des rebelles, la frontière était relativement calme, maintenue avec un minimum de forces israéliennes. Désormais, la Syrie est devenue la principale zone d’opération pour Tsahal. Cependant, aujourd’hui, contrairement à la guerre civile de 2011, aucun signe de fumée ou d’explosion n’est visible sur le plateau. Dans le Golan, les activistes encore présents semblent eux aussi désorientés face à la situation et à son évolution. En tout cas, ils se préparent davantage à des dangers venant de l’intérieur qu’à des menaces venant du voisin à l’ouest. Bien que l’objectif israélien soit de maintenir une présence tactique temporaire, la durée de cette opération reste incertaine. Pour l’instant, Tsahal poursuit le renforcement de ses positions dans la zone tampon, tout en maintenant une vigilance renforcée face aux évolutions rapides et imprévisibles de la situation dans cette région stratégique. La décision de déclarer caduc l’Accord de désengagement signé entre Israël et la Syrie le 31 mai 1974, est lourde de conséquences. Surtout, elle traduit la grande méfiance israélienne vis-à-vis les forces qui ont détrôné les Assad. L’ombre de la surprise du 7-Octobre plane encore lourdement sur les forces déployées sur le terrain ainsi que sur les décideurs à Jérusalem.
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