Ils ne sont plus que deux dans l’Atlantique, alors que Charlie Dalin, en approche du Cap Leeuwin, commence déjà doucement à se projeter sur le Pacifique, d’ici quelques jours avec le passage de la Tasmanie… Si c’est raté pour l’océan en commun, l’Indien, cette année, restera assurément comme une épreuve à lui tout-seul.
Trente jours, c’est le temps de gestation d’une lapine, la durée d’un préavis de résiliation de bail locatif, un cycle lunaire complet, ou encore la durée de vie d’un Monarque. On plaint donc celui sorti de sa chrysalide le 10 novembre à l’heure du départ de la dixième édition du Vendée Globe, et qui ne verra jamais l’issue de cette homérique bataille livrée par nos marins. Car voilà bien 30 jours qu’ils ont quitté les Sables d’Olonne, nos valeureux Ulysses, qui enchaînent les épreuves pour rallier au plus vite leur Ithaque vendéen. Et cette année, le sort qui leur est réservé dans l’Indien aurait inspiré bien des poètes antiques !
« C’est vraiment rageant ! »
Car ils ne sont pas épargnés depuis que le premier d’entre eux, Charlie Dalin (MACIF Santé Prévoyance), y a pointé l’étrave, voilà une dizaine de jours. On a beau prendre part à son cinquième Vendée Globe, on est encore surpris de cette force brute et imprévisible du troisième plus grand océan du monde (allez hop, encore un camembert bleu au Trivial Pursuit). C’est en tous cas avec un tantinet d’amertume que Jérémie Beyou (Charal), toujours cinquième mais désormais à 820 milles du premier, évoque son actuelle traversée :
Les conditions n’ont été pas faciles depuis une dizaine de jours, le fait de contourner cette grosse dépression a complètement changé ma course, ça m’a complètement mis en dehors de la bataille de devant dans laquelle j’étais. On a été vraiment piégés, et ça dicte toute ma course sur un phénomène météo, c’est vraiment rageant !
Jérémie Beyou
CHARAL
Surtout que la nature a l’outrecuidance de ne pas se dire « bon, ils ont essuyé, on va un peu calmer le jeu », comme le relate le skipper finistérien :
Là je pense qu’on est vraiment sur la mauvaise trajectoire, cette nuit la petite basse pression s’est creusée juste sur moi, donc j’ai fait une nuit avec 45 nœuds moyen ! La mer est démontée, c’est des conditions casse-bateaux depuis une dizaine de jours. Et puis derrière la dépression, on s’est pris des orages il y a cinq-six jours, je pense que je suis le seul à avoir pris ça avec Nicolas (Lunven, Holcim-PRB, 6e), j’y ai laissé de l’électronique là-dedans.
Jérémie Beyou
CHARAL
N’en jetez plus, c’était le moment « râlerie » pour Jérémie, mais tout va mieux une fois sorti ! Et l’expérimenté marin le sait bien d’ailleurs que « la route est encore longue », comme ils se le répètent tous à l’envi, jusqu’au moment où elle ne le deviendra plus assez, on les connaît nos compétiteurs…
Je ne suis pas dans le bon schéma, ça s’ouvre pas pour moi. J’ai l’impression que pour les deux premiers ça s’ouvre devant, pour le groupe derrière nous aussi, ils ont eu une autoroute. L’objectif pour les prochains jours ce serait que ça change un peu, que les schémas soient un peu plus naturels, les trajectoires aussi, et des conditions un peu plus équitables entre les bateaux de tête. Je crois dans le fait qu’à un moment ça va tourner, qu’il va y avoir une opportunité de revenir, faudra que je la saisisse !
Jérémie Beyou
CHARAL
Renverser le sort, revenir fort, c’est ce à quoi s’emploient en tous cas sans relâche la meute aux trousses de Charlie Dalin, déjà légèrement ralenti par un vent moins puissant en avant, et qui devrait voir son confortable écart se réduire bien trop rapidement à son goût. Depuis 24 heures, Yoann Richomme (PAPREC-ARKÉA, 3e) et Thomas Ruyant (VULNERABLE, 4e), bien positionnés dans un flux encore puissant et une mer à peu près organisée, ont repris une centaine de milles sur le leader.
« Je suis tombé malade ! »
Attendre les faveurs de l’Indien, voilà désormais le quotidien de chacun des marins qui évolue en son sein. Ce n’est pas Louis Duc (Fives Group – Lantana Environnement, 21e) et Guirec Soudée (Freelance.com, 24e), actuellement aux prises avec les conditions les plus engagées, qui diront le contraire. Dans leur peloton désormais éparpillé sur plus de 500 milles en latéral, mais toujours mené avec autorité par Jean Le Cam (Tout Commence en Finistère – Armor-lux, 18e), la bataille fait rage, mais s’est teintée d’un sursaut de prudence inédit. Prévenir plutôt que guérir, indien vaut mieux que deux tu l’auras.
Une nouvelle philosophie qui réjouit Sébastien Marsset (Foussier, 25e), actuellement presque « au repos » dans quatre mètres de houle, après les six mètres des derniers jours :
On n’est pas épargnés en termes de rugosité de l’Indien ! Le groupe dans lequel je suis, on zigzague pour trouver un chemin qui soit le moins cabossé possible. Je le vis bien, ça génère toujours un peu d’appréhension parce qu’on n’y va pas souvent, mais c’est aussi une des facettes qui nous attirent. Ça me fait vraiment kiffer de découvrir une nouvelle manière de naviguer. C’est ce qui me tient à la course au large depuis tant d’années, c’est que j’ai l’impression que c’est inépuisable comme sport, en termes d’apprentissages, de découvertes.
Sébastien Marsset
FOUSSIER
Dans ces moments-là, on se dit qu’au moins, ils devraient être épargnés des basses contingences de l’humanité. Que le café, par exemple, devrait avoir la décence de ne pas être soumis aux habituelles lois de la gravité, et éviter de se renverser. Mais non, tout est bien là, impitoyables petits tracas. Et ce week-end, le skipper de Foussier en a eu un désagréable rappel :
Je suis tombé malade ! Un coup de froid qui m’a obligé à consulter les supers médecins de l’AMCAL pour m’aider à me soigner. C’est l’affaire de quelques dizaines d’heures, mais voilà, j’étais malade, du coup j’ai passé pas mal d’heures à la bannette, ce qui explique un peu les contreperformances… je n’étais pas aussi enclin à manœuvrer que d’habitude !
Sébastien Marsset
FOUSSIER
Un petit imprévu de plus, comme s’ils en manquaient ! Car c’est bien comme cela qu’on résumerait ces trente jours de course, une longue litanie de contretemps qui deviennent le temps lui-même. Un temps qui se tend et se détend. On a d’ailleurs posé la question à Sébastien Marsset, ce mois de mer est-il passé vite ou lentement ? Voilà son interprétation, qui vaut toute conclusion.
Ca dépend des jours ! Il y en a que tu ne vois pas passer, t’as beaucoup à manœuvrer, t’as plein de météo, des fois il faut être pile poil à l’heure, d’autres où tu peux te permettre d’attendre un peu. Et puis t’as tous les imprévus, qui remplissent très très vite une journée. Le temps passe aussi en fonction de l’intensité de la course. Plus on est tirés par les autres, moins on voit le temps passer ! Et puis il y a un truc que j’aime bien aussi, c’est le sentiment d’être complètement en mer, les moments où tu te sens complètement déconnecté de ta vie terrestre. Il y en a de plus en plus, juste dans ton monde, dans ta bulle, sur le bateau. Je trouve ça agréable.
Sébastien Marsset
FOUSSIER
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