C'est un jeudi après-midi comme les autres au club d'escrime de Jesi, dans le centre-est du pays. Giovanna Trillini, huit médailles olympiques entre 1992 et 2000, dont quatre en or, et neuf sacres mondiaux à son palmarès, enchaînent les séances d'entraînement, des plus jeunes aux espoirs.
Quelques "pistes" plus loin, Stefano Cerioni fait répéter ses gammes à Alice Volpi, double championne du monde en individuel de fleuret (2018, 2023).
"Depuis 1984, ce club a toujours gagné des médailles olympiques, espérons que cela continue à Paris (...). Il y a peut-être quelque chose dans l’eau, ou alors dans le vin de la région, le fameux Verdicchio", rigole l'entraîneur national du fleuret italien.
"C'est dans l'ADN de cette ville", poursuit plus sérieusement le maître Cerioni, mettant en avant "la possibilité de travailler dans une cité tranquille où tout est plus simple et où tu peux te concentrer sur ce que tu dois faire".
Située dans la région rurale des Marches, la capitale officieuse de l'escrime italienne est une commune de 40.000 habitants "devenue une marque internationale": "tout le monde dans l'escrime mondiale connait Jesi", se félicite le président du club, Maurizio Dellabella.
26 médailles olympiques
Et pour cause: depuis la 3e place aux JO-84 de Los Angeles de Stefano Cerioni, sacré champion olympique quatre ans plus tard à Séoul, 26 médailles olympiques, dont 14 en or, ont été "forgées" à Jesi.
Le club local a remporté à lui seul et avec une seule arme, le fleuret, un cinquième des 125 médailles olympiques de l'escrime italienne!
Trois championnes, nées et "fabriquées à Jesi", ont marqué l'histoire de la discipline: Giovanna Trillini, Valentina Vezzali, six titres olympiques dont une incroyable passe de trois en individuel en 2000, 2004 et 2008, et Elisa Di Francisca, double championne olympique 2012.
Alice Volpi, 32 ans, a repris le flambeau: originaire de Sienne, en Toscane, la médaillée de bronze par équipes des JO en 2021, venue à l'escrime en regardant le feuilleton Zorro, a rejoint Jesi à 19 ans.
Tommaso Marini, 24 ans, s'y est installé adolescent: "Cela m’a fait clairement franchir un cap (...). Ca m’a beaucoup aidé d’un point de vue technique et mental, il y a une ambiance, une énergie au contact de ces mythes de notre sport", dit-il.
Tous sont conscients qu'ils doivent beaucoup à Ezio Triccoli, fondateur du club en 1947 et décédé en 1996.
Prisonnier de guerre
Dans le gymnase qui porte son nom, Triccoli, qui a découvert l'escrime avec des officiers britanniques dans un camp de prisonniers en Afrique du Sud durant la Seconde guerre mondiale, est partout: dans la salle de réunion qui fait aussi office de musée et surtout dans les discours.
"Jesi doit tout au maître Triccoli: il a donné quatre champions olympiques à une ville comme Jesi, c’est à la fois étrange et rare", rappelle Stefano Cerioli.
L'entraîneur perpétue le secret de son maître d'armes: "la particularité du maître Triccoli a été d’adapter l’escrime aux qualités physiques de ses athlètes. Ce n’est pas comme dans les autres pays où tout le monde se ressemble (...), à Jesi, tous les escrimeurs sont différents", relève-t-il.
On vient du monde entier pour tenter de percer le mystère: des équipes nationales viennent régulièrement en stage à Jesi.
"Souvent, ils disent: +C'est ça, Jesi?+", sourit le président du club, en montrant un gymnase qui a fait son temps et des vestiaires au confort rudimentaire.
Mais, dans quelques semaines, Jesi aura une "maison de l'escrime" de 1.400 m2, avec 20 pistes, une salle de musculation et des équipements modernes.
"Nous allons tout faire pour que le nom de Jesi se perpétue", conclut, confiant, Maurizio Dellabella.
