Marmaille est un gentil film avec des méchants à l’intérieur. Différentes sortes de méchants, à commencer par la mère. Tellement méchante qu’on ne la voit pas. On l’entend hurler après son fils Thomas, 15 ans (Maxime Calicharane), quand elle le fout à la porte de chez elle. On aperçoit alors son bras (c’est filmé depuis le palier de l’étage), ou sa jambe, juste avant qu’elle ne claque la porte en traitant son fils de moins que rien. Donc, déjà, au bout de trois minutes de film, je commence à pleurer. Je n’aime pas quand les parents mettent leurs enfants à la porte. Mais j’adore voir ça au cinéma. La dénonciation des parents indignes. Ça me touche. Ça me rappelle des trucs perso. Le cinéma est un art de la vengeance, elle y est structurelle. C’est Alexandre Dumas (Le Comte de Monte-Cristo) qui a inventé sinon le cinéma, le scénario. Le premier film (commercial) des frères Lumière c’est L’arroseur arrosé, histoire d’une vengeance à double-fond. C’est aussi le premier film comique de l’histoire à partir duquel les frères Lumière ont pu faire payer l’entrée.
La rigolade, la peur, l’indignation, le chagrin et même le bonheur (quand ils se retrouvent enfin, s’embrassent, ne cesseront plus jamais de s’aimer jusqu’à la dernière image du film), tout est structuré par la vengeance comme promesse de réparation par laquelle le spectateur parvient à reconnaître son propre désir de meurtre, assouvi à 12 euros la séance. C’est tellement bon que les maniaques dans mon genre prennent une carte d’abonnement.
Thomas se réfugie chez sa sœur Audrey, 17 ans (Brillana Domitile Clain), qui n’est guère mieux lotie que Thomas. Mère d’un nourrisson qui n’a pas vraiment de père, elle n’a pas d’autre solution que d’accompagner son frère à l’aide sociale à l’enfance. Ils sont reçus par une femme plutôt sympa qui appelle la mère pour tenter d’arranger les choses. Nouvelle bordée d’injures. Qu’est-ce qu’on va faire de vous, elle demande. Et votre père il est où ? Je sais pas, répond Thomas. Audrey se sent alors obligée d’avouer qu’elle sait où vit leur père, elle l’a revu. Et tu m’as rien dit, proteste Thomas. Là aussi, les yeux me piquent.
La dame plutôt sympa parvient à joindre Christophe (Vincent Vermignon), le père des deux ados en détresse. Il s’est remarié avec une femme qui avait déjà deux enfants. Est-ce qu’il va réagir comme la mère ? Non. Il se laisse convaincre d’accueillir ses deux enfants, provisoirement sauvés, et c’est comme ça que s’agrandit sa marmaille. Il faut préciser que le film se passe sur l’île de la Réunion, quatre fois plus petite que la Corse, un département qui n’est pas tout à fait "la France" ni tout à fait autre chose.
Thomas est un diable, un gibier de potence. Ce qui pourrait le sauver, c’est le hip-hop. De passpass en powermoves, il est sélectionné pour la finale de la Battle of the year de breakdance. On pleure une fois tous les quarts d’heure, dans ce film. Un vrai lessivage du système limbique. Mais, comment dire, ça reste un bon film. Pas vulgaire dans le pathos. Sans doute parce qu’ils ont tous du talent.
A commencer par le héros, Maxime Calicharane assure grave, je n’ai pas l’impression qu’il ait été doublé pour les figures les plus spectaculaires, c’est le Bébel du hip-hop. Dommage qu’il fasse Science Po. Ou pas. Il a probablement fait le film de sa vie et c’est très bien comme ça. Les autres sont tous très bons, et les dialogues en créole (sous-titrés-traduits en français de la métropole) ne font pas mal aux oreilles. Mais j’ai un faible pour Rudy, l’ex d’Audrey qui avait disparu à la naissance de leur enfant. C’est le seul méchant de l’histoire, le seul dont on voit le visage. Il rapplique à la fin, je ne vous dis pas pourquoi. Rien de très original dans la paresse du jeune Rudy, son inculture et finalement sa violence de macho ordinaire, rien, or le génie de celui qui l’interprète : Malick Fruteau de Laclos.
