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Le remboursement des PGE, grand impensé du débat sur le budget

"Un optimisme béat". Voilà à quoi Marc Sanchez avait le sentiment d’être confronté, lorsqu’il alertait Bercy, il y a encore quelques mois, sur les difficultés des petites et moyennes entreprises à rembourser leurs prêts garantis par l’Etat (PGE). "On nous expliquait que tout allait bien", se souvient le secrétaire général du Syndicat des indépendants et des TPE (SDI). Depuis, Bruno Le Maire a fait ses bagages et une nouvelle équipe a pris ses quartiers. Le budget, au vu de la dégradation annoncée du déficit public à plus de 6 % du PIB d’ici la fin de l’année, s’est imposé comme la préoccupation numéro une. Alors que le projet de loi de finances pour 2025 continue son parcours chaotique au Parlement - dont l’issue sous forme de 49.3 ne fait désormais plus aucun doute - le remboursement des PGE reste un impensé du débat budgétaire. Pourtant, d’après les dernières données récoltées par Bercy, confirmées auprès de L’Express, il reste encore près de 36 milliards d’euros à rembourser sur les 143 milliards octroyés à 650 836 bénéficiaires, d’ici fin 2026. Un élément déterminant à prendre en compte dans la trajectoire de redressement des finances publiques, l’Etat étant garant à 90 % pour la majorité des prêts accordés.

Jusqu’à présent, la perte nette pour l’Etat, du fait des appels en garantie des emprunteurs qui ne pouvaient plus honorer leurs paiements s’élève à environ 4,3 milliards d’euros, soit 3 % du total des encours. "Il n’est pas exclu que l’on se situe entre 4,5 et 5 % à l’arrivée. Cela reste dans des marges tout à fait raisonnables. Il n’y a pas d’alerte", assure Frédéric Visnovsky, médiateur national du crédit au sein de ce service de la Banque de France, chargé de gérer le dispositif de rééchelonnement des PGE. "Les remontées sont tout à fait conformes à nos prévisions. Il n’y a pas de raison de les actualiser à la hausse", confirme quant à elle Maya Atig, directrice générale de la Fédération bancaire française (FBF). A Bercy aussi, l’optimisme est donc toujours de mise. "Nous n’avons pas d’inquiétude, indique le cabinet du ministre de l’Economie, Antoine Armand. Ce qui est important, c’est de rester vigilant et de continuer à surveiller. S’il venait à y avoir des signaux faibles, on prendrait les mesures nécessaires."

Un taux de sinistralité plus élevé ?

Dans une note publiée le 10 octobre dernier, le Conseil d’analyse économique émettait pourtant un son de cloche différent. Des experts de ce collège d’économistes, qui conseille le Premier ministre, ont passé en revue des données fournies par le Crédit Mutuel Alliance Fédérale, l’un des gros pourvoyeurs de PGE pendant la crise, pour répondre à une question majeure : les entreprises concernées pourront-elles le rembourser ? A la fin de l’étude, ils évoquent la possibilité que le taux de sinistralité atteigne 8 à 9 %, au lieu des 4,5 % envisagés. "Un risque autour de 4 % est assez convergent. Compte tenu de la conjoncture, il peut être néanmoins prudent de ne pas écarter un scénario plus défavorable, celui dans lequel les défaillances augmenteraient plus que prévu", précise Hélène Paris, secrétaire générale du CAE et coautrice du texte. Une méthode jugée peu conventionnelle du côté de la Banque de France, mais qui a le mérite de mettre un coup de projecteur sur une hypothèse qui ne peut être exclue - et pour le moins problématique. "C’est une source supplémentaire de dérapage du budget", ajoute cette économiste. Car 4 milliards d’euros de dépenses supplémentaires pour l’État pourraient constituer un nouvel obstacle sur la route sinueuse du retour sous les 3 % de déficit public en 2029, objectif réaffirmé à maintes reprises par le Premier ministre Michel Barnier. Et une contrainte de plus le jour où l’on voudra relâcher la pression fiscale. "Il est possible que l’on ne puisse plus se permettre, à l’avenir, d’annuler un milliard d’euros de taxes pour soulager des entreprises ou des ménages", concède un ancien de Bercy.

Ce scénario du pire n’est, pour l’instant, pas à l’ordre du jour. "Il faudrait un choc macroéconomique très fort pour que toutes ces entreprises se retrouvent en défaut de paiement", abonde Arthur Guillouzouic Le Corff, coresponsable du pôle entreprises à l’Institut des Politiques Publiques. Quelques signaux d’alertes commencent toutefois à clignoter. A commencer par la hausse, ces derniers mois, des défaillances d’entreprises. Au dernier comptage, en octobre, leur nombre atteignait 64 650, en hausse de 8,9 % par rapport à la moyenne de la période 2010-2019. Or, "chaque dossier que nous traitons concerne systématiquement des entreprises qui ont souscrit à un PGE, à l’exception de celles créées post-crise", remarque François-Charles Desprat, président du Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires (CNAJMJ). Selon lui, il n’y a toutefois "pas de point de vigilance particulier".

Les TPE en souffrance

Sur le terrain, les remontées du côté des TPE - plus de 70 % des bénéficiaires du nombre de PGE - sont inquiétantes. "Nos adhérents ont de plus en plus de difficultés à le rembourser. Quand ils ont été souscrits, les chocs énergétique et inflationniste n’étaient pas encore intervenus. Le climat politique et fiscal totalement incertain entre aussi dans les considérations de nos chefs d’entreprise", s’alarme Marc Sanchez du SDI. Avec des répercussions bien plus larges, car "si vous avez du mal à rembourser votre PGE, vous avez du mal à rembourser tous vos crédits, relève Maya Atig de la FBF. Il est très important de ne pas distinguer ce prêt des autres".

Bertrand en fait l’amère expérience. Début 2020, ce chef d’entreprise avait le sourire. Il était à la tête d’une petite entreprise florissante de cigarettes électroniques qui cumulait trois points de vente, en Seine-Saint-Denis et dans le Val-d’Oise. "Le marché avait le vent en poupe", se souvient-il. Le 17 mars 2020, la France entre dans son premier confinement pour contrer la propagation du coronavirus. Bien que considérées comme des "commerces essentiels", deux de ses boutiques, situées dans un centre commercial, doivent baisser le rideau pendant plusieurs semaines. Seule celle installée en centre-ville poursuivra son activité. Le dirigeant décide alors de souscrire un prêt garanti par l’Etat de 100 000 euros.

Quatre ans plus tard, Bertrand n’est jamais parvenu à retrouver sa prospérité d’avant-Covid. "Beaucoup de clients ont déserté les centres commerciaux, notamment avec le développement du télétravail, et le marché est devenu fragile". Résultat, l’un de ses magasins, fermé pendant les confinements, a définitivement mis la clef sous la porte. Le PGE, lui, est toujours là. Chaque mois, l’entrepreneur s’acquitte d’un paiement de 2 500 euros, soit actuellement 5 % d’un chiffre d’affaires, qui s’évapore. Le commerçant a remboursé 60 % de son PGE. Mais le plus dur reste à faire. Avant la crise sanitaire, il se versait un salaire de 2 000 euros net. Désormais, il peine à dépasser les 700 euros. "Je suis le moins bien payé de ma société", soupire ce patron de cinq employés. Il a un temps pensé à rééchelonner son PGE. Mais la procédure administrative lourde et la peur d’être catégorisé comme "un mauvais payeur" l’ont découragé.

Vice-présidente de la Confédération nationale des détaillants de lingerie et propriétaire d’une boutique à Saint-Rémy-lès-Chevreuse, dans les Yvelines, Margaux Dos Santos voit quant à elle "des boutiques fermer les unes après les autres faute de clients. Les chefs d’entreprise n’arrivent plus à faire face à l’augmentation des charges. Les communes où il n’y a plus de commerces deviennent des villes mortes". Le PGE a été la goutte d’eau. "Les commerçants font 70 heures par semaine et n’arrivent même pas à se payer un Smic. Ce dispositif nous a permis de sortir la tête de l’eau, mais nous l’a aussi replongée aussitôt", témoigne-t-elle.

"Un cocktail explosif"

Ces cas de petits patrons en souffrance sont légion en France. "Nous sommes aujourd’hui dans une situation où un grand nombre d’entreprises, au-delà de ce qu’on appelle les canards boiteux, sont en difficulté. Beaucoup de TPE-PME manquent cruellement de fonds propres", affirme Denis le Bossé, président du Cabinet Arc, spécialisé dans le recouvrement de créances. S’il reconnaît que ce dispositif d’urgence a permis de sauver un grand nombre de sociétés, "cela s’est aussi révélé un véritable cocktail explosif pour certaines d’entre elles, car leur trésorerie était déjà très fragile. Elles se retrouvent aujourd’hui à devoir rembourser les dettes sociales et fiscales accumulées, les charges courantes et le PGE, avec des possibilités de financement qui sont compliquées".

En mars 2020, au moment de l’octroi des PGE, trois types de populations d’entreprises se dégageaient. Le cœur de cible d’abord : celles en bonne santé, mais qui ne pouvaient plus poursuivre leur activité normalement. Les "PGE de confort", ensuite : ces sociétés qui n’en avaient pas besoin et qui ont profité de ce prêt à quasi-taux zéro pour investir dans de nouveaux équipements ou développer des innovations. Enfin, "le revers du dispositif : les boîtes qui ont survécu grâce au PGE alors qu’elles n’auraient pas dû", admet un haut fonctionnaire de Bercy. "Nous avions choisi un outil assumé comme étant massif et quasi automatique. Il y avait 98 % de taux d’acceptation. Vous aviez en quelques jours votre PGE sur votre compte en banque, ce qui veut dire que c’était large et peu ciblé", poursuit-il. "Cela a permis de maintenir l’économie à flot. Avec le recul, certains pensent qu’on aurait pu mieux faire. On a sauvé beaucoup d’entreprises, dont plusieurs étaient considérées comme en difficulté, cela va avoir un coût", anticipe Denis Le Bossé du cabinet Arc.

Les banques ont leurs priorités

Autre caillou dans la chaussure publique : les banques ont de plus en plus tendance à prioriser leurs propres lignes de crédit face aux PGE, qui passent au second plan. Cela signifie que son remboursement n’est pas une priorité. "Je l’ai observé dans un bon nombre de conciliations. Le PGE est le parent pauvre, parce que cela n’embête personne à part le Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) et l’Etat", pointe Mathieu Gonin, ancien coresponsable de la dette des entreprises de la société de gestion Zencap Asset Management. Il arrive même que des négociations entre les banques et des PME et ETI faisant plus de 100 millions d’euros de chiffre d’affaires se fassent sans l’Etat, qui arrive ensuite trop tard, lors de nouveaux pourparlers, un an après. "Les PGE n’ont aucune raison d’être remboursés avant leur terme puisqu’ils sont moins chers et sont relégués au rang inférieur par rapport aux dettes nouvelles", note de son côté un banquier qui estime, pessimiste, que "l’idée que ce dispositif ne va pas coûter cher est folle. C’est un énorme sinistre qui risque d’être étalé".

A trop vouloir ignorer le problème, l’Etat pourrait subir un retour de bâton violent. "Il existe, et c’est un fait nouveau, une corrélation entre les défaillances d’entreprises et les finances publiques. Avant le PGE, il y avait des conséquences indirectes comme celles d’assumer une hausse du chômage. Aujourd’hui, elles constituent une double peine parce que l’Etat va devoir prendre en charge le social et payer les banques", pointe Germain Simoneau, président de la commission financement de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME). D’après lui, "si on ne contrôle pas mieux notre économie de proximité, en la préservant tout en favorisant sa reprise, on pourrait subir un gros dérapage budgétaire."

Un contexte économique morose

Les ETI - environ 2 % du total des PGE accordés en volume - ne montrent quant à elles pas de difficulté à rembourser leurs prêts. Pour combien de temps ? Alexandre Montay, délégué général du Mouvement des entreprises intermédiaires (METI), ne cache pas son inquiétude face à un contexte économique qui s’assombrit : "La conjoncture n’est vraiment pas bonne. Cela fait 12 ans que je suis à ce poste et j’ai rarement vu une telle dégradation, qui n’est pas uniquement liée à la situation politique française. Beaucoup de facteurs entrent en ligne de compte : les surcapacités chinoises, les décisions prises dans le secteur automobile, le ralentissement de l’économie mondiale, les incertitudes géopolitiques…", liste-t-il. Des secteurs comme la distribution, la construction et l’habitat demeurent en grande difficulté. "Des filières entières sont touchées très violemment. L’effondrement du pouvoir d’achat des Français a considérablement fragilisé celles liées à la consommation", explique Germain Simoneau de la CPME.

En 2025, les défaillances d’entreprises vont-elles s’accélérer ? "Nous ne disposons pas d’éléments permettant de déterminer si le niveau actuel va se maintenir en l’état. Il est probable, au moins au premier trimestre, que cette situation n’évolue pas favorablement", reconnaît François-Charles Desprat du CNAJMJ. Denis le Bossé s’attend quant à lui à un mouvement de hausse ces prochains mois. L’indicateur sera surveillé comme le lait sur le feu. S’il arrive à ébullition, le gouvernement - quelle que soit sa couleur politique - devra revoir sa recette pour atteindre son objectif budgétaire.

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