Les images en noir et blanc de ce reportage diffusé le 3 février 1966 sur les chaînes de l’ORTF (Office de radiodiffusion-télévision française) semblent défiler à mesure que Daniel Naturel, tout juste sorti de la sieste, raconte son histoire à l’autre bout du fil. 58 ans plus tard, sa voix n’a presque pas bougé. Et on imagine volontiers que le sourire, qui accompagnait, dans le reportage télévisé, ses « oui » si singuliers, est toujours le même à 84 ans.
C’est l’Institut national de l’audiovisuel (INA) qui a eu la bonne idée, comme il le fait régulièrement sur son site Internet, de ressortir, il y a quelques mois, cette pépite : le reportage de l’ORTF donc sur « Monsieur Naturel, employé à la station de La Croisière sur la Nationale 20 près de Limoges (sic) », comme décrit par le reporter de l’époque, désigné « pompiste le plus aimable de France en 1966 ».
« Ce sont des souvenirs à vie ça monsieur. À vie », lance d’entrée l’ancien pompiste, qui habite désormais à Saint-Nectaire (Puy-de-Dôme), retrouvé après une quinzaine d’appels passés au hasard à des Naturel (nous n’avions que son nom de famille dans le reportage) en parcourant l’annuaire côté Creuse et Haute-Vienne avant de tomber sur sa nièce.
5 pompistes la journée, 2 la nuit« J’ai travaillé à la station Shell de La Croisière de 1963 à 1970, se présente à vive allure le principal intéressé. Mon rôle exact était pompiste responsable. Nous étions cinq pompistes la journée et deux la nuit. Il fallait voir comment ça tournait, le monde qu’il y avait entre les camions et les touristes qui descendaient vers le sud. »
À l’image de ce trafic, les souvenirs sont toujours aussi denses chez Daniel Naturel. Le voilà qui évoque pêle-mêle son ancien patron, un « type formidable » ; les « personnalités politiques et du spectacle » rencontrées à la station comme Jo Bouillon et Joséphine Baker, Charles Aznavour, une des sœurs Goitschel, etc. (« j’avais au moins une trentaine d’autographes », dit-il à ce propos). Mais aussi le café et « la goutte » servis la nuit « derrière le bureau » ; les Belges et Hollandais avec qui il n’était pas toujours simple de converser « mais on y arrivait » ou encore tous les routiers et transporteurs dont il n’a pas oublié les noms.
Voyage à TahitiEt puis il y a bien sûr ce fameux titre de « pompiste le plus aimable de France » en 1966 pour lequel il a été invité à Matignon afin de recevoir son diplôme, été convié au George V à Paris avant d’être « gratifié » d’un voyage de huit jours à Tahiti. « On a fait Paris-Los Angeles, Los Angeles-Papeete, se souvient-il. C’était formidable. »
L’octogénaire se dit « un peu fier » de cette récompense. Mais n’en fait pas non plus étalage. « Je faisais mon travail, tout simplement, confie-t-il. Nous étions très accueillants et aimables. Quand un client rentrait dans la station, on allait ouvrir la porte du chauffeur, on enlevait notre casquette pour dire “Bonjour messieurs-dames”. On faisait le plein et puis après, on demandait à vérifier les niveaux : huiles, batterie, etc. Puis, on faisait le pare-brise et lorsqu’ils partaient, on les accompagnait jusqu’à la route pour les faire traverser, on faisait le passage par mesure de sécurité tant la circulation était parfois importante. »
Il faut dire qu’entre RN20 et RN145, La Croisière était « un grand pôle commercial », décrit encore Daniel Naturel, avec « ses trois stations-service, deux grands hôtels, un restaurant routier ouvert 24h/24 ».
Alors forcément, quand il repasse « par là », l’homme admet avoir un « petit pincement au cœur de voir que tout est fermé (la station-essence existe toujours, mais est aujourd’hui toute automatisée) ». « Je vais vous dire, reprend-il, aujourd’hui encore, quand je me sers à la station à côté de chez moi, dans le Puy-de-Dôme, je repense à tout ça. Il m’arrive même d’en rêver la nuit, de repenser à mes anciens patrons. Je vous jure, ça ne s’enlève pas comme ça. Alors ma femme me dit : “C’est le passé, laisse tomber”. Mais il n’y a rien à faire (rires). »
Avant de raccrocher, Daniel Naturel nous invite à boire le café « si un jour vous passez par Saint-Nectaire ». 58 ans plus tard, l’amabilité, non plus, n’a pas bougé.
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Un rythme d'enfer jour et nuit
Ancien gérant de cette même station Shell à La Croisière, Didier Alamome, 66 ans aujourd’hui, a également bien connu cette effervescence dans les années 80 et 90.Didier Alamome devant un camion Peugeot qu'il avait transformé en snack.
« Déjà, mes parents avaient un magasin juste au bout là (il montre la direction, ndlr), au Dognon, donc j’ai été marqué par la RN20, insiste-t-il. J’ai grandi avec cette route et elle m’a accompagné toute ma vie. »
Car celui qui habite toujours Le Dognon (commune de Saint-Maurice-la-Souterraine, en Creuse) a géré la station Shell dans les années 80-90. « Les plus gros week-ends, le 14 juillet et 15 août, j’avais des copains qui venaient m’aider, on en mettait un à chaque pompe et c'était parti. Le dimanche soir, les cuves étaient vides. C’est simple, dit-il, on a pratiquement quadruplé la capacité de la station entre 86 et 92. Chez Shell, on était la meilleure station de France hors autoroute. »
Jour et nuit, la station limousine tournait à un rythme d’enfer. « Il a fallu que je change trois fois la machine à café en un an et demi. La dernière, on passait 90.000 cafés par an. Puis, on faisait les casse-croûte l’été. On payait deux personnes : une la journée, une la nuit et même la nuit, on faisait steak frites. Le boucher pouvait venir à 23 heures pour nous ravitailler. J’ai toujours la table d’ailleurs, si elle pouvait parler… Il y a eu des soirées mémorables. »
À voir et à manger...Automatique, l’actuelle station Shell TruckDiesel à La Croisière ne propose plus de restauration. Le bar-restaurant Le Relais de La Croisière, juste à côté, est fermé. Mais deux sandwicheries-friteries sont situées à proximité : une sur le rond-point côté Creuse, l’autre sur le rond-point côté Haute-Vienne.
Jean-Adrien Truchassou
