C’était il y a quelques mois, le tout premier dossier à être arrivé au nouveau pôle régional environnement (PRE) du tribunal judiciaire clermontois (1). Les responsables de l’entreprise Eurojoint, basée à Brignais (Rhône), spécialisée, entre autres, dans l’entretien des routes et deux sociétés de Haute-Loire – Vacher, spécialiste du traitement des déchets, et Valvert Velay Assainissement, établies respectivement à Polignac et Espaly-Saint-Marcel – ont comparu, jeudi, à la barre du tribunal correctionnel clermontois.
HydrorégénérationNotamment soupçonnées d’irrégularités dans la gestion de déchets, ces trois entités se sont retrouvées liées après un appel d’offres lancé par le conseil départemental altiligérien et remporté en 2019 par Eurojoint. Celui-ci porte sur un marché bien spécifique : l’hydrorégénération des chaussées. Cette technique, présentée comme rapide, économique et écologique, consiste, afin de les rénover, à enlever la couche superficielle des routes par la projection d’eau pure à ultra-haute pression. Une fois réalisée, cette opération produit des déchets solides et liquides. Les premiers étaient ensuite sous-traités à Vacher et les seconds à Valvert Velay Assainissement, avant d’être acheminés vers des filières de traitement. Jusque-là rien que de très normal…
Mais en janvier 2021, Neovia Technologie, la société de travaux publics retoquée lors de l’appel d’offres (et qui détenait jusqu’alors le marché de l’hydrorégénération) alerte les autorités (Département et préfecture de Haute-Loire, parquet du Puy-en-Velay…), indiquant que des irrégularités, notamment en termes de gestion des déchets et de respect de l’environnement, auraient été commises par les trois entreprises. Le dossier, pris très au sérieux, déclenche une enquête des gendarmes de la brigade de recherches ponote, sous l’égide de l’office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique. Le parquet du Puy finit par se dessaisir au profit du nouveau PRE clermontois. Après plusieurs mois d’investigations, les responsables des trois sociétés incriminées ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel clermontois, pour une audience fleuve (près de huit heures…), qui s’annonçait éminemment technique.
Au-delà des questions de codification des déchets, de nomenclature, de classification ou de filières de traitement – et même si aucune atteinte à l’environnement ou à la santé publique n’a été établie – la seule question qui subsistait était : ces déchets issus de l’hydrorégénération étaient-ils ou non dangereux ?
Aucune analyse« Non, ils ne présentaient aucun caractère de dangerosité », affirment en chœur les trois prévenus, défendus par Mes Pascal Dury (Mâcon), Marwane Nadim (Saint-Étienne) et Delphine Lamadon (Versailles). « Avez-vous effectué ou fait réaliser des analyses afin de vous assurer de cette non-dangerosité ? », leur demande logiquement le président Stéphane Descorsiers. « Il n’y a pas eu d’analyses effectuées », admettent les trois chefs d’entreprise, tout en réaffirmant que les déchets en question « n’étaient de toute façon pas pollués », notamment par des hydrocarbures.
Du côté des parties civiles – Neovia, le syndicat de maintenance des routes de France et le conseil départemental 43 (2) – la lecture n’est pas du tout la même. « On ne connaît pas la composition du bitume qui a été enlevé. Y avait-il du goudron dedans ? On ne le saura jamais et on ne saura jamais non plus s’ils ont été dirigés vers les bonnes filières de retraitement. » Pour la procureure de la République Françoise Chadefaux-Gallay, « on a décrété, sans la moindre preuve, que ces déchets n’étaient pas dangereux ». Elle a requis des peines de prison avec sursis et de lourdes amendes.
Du côté de la défense, qui a plaidé trois relaxes et pour qui « ce dossier a été construit sur des certitudes elles-mêmes bâties sur des contre-vérités », « rien ne permet, dans cette procédure, d’affirmer que les déchets d’hydrorégénération sont dangereux. Nous maintenons qu’ils ne l’étaient pas et c’est tout ce qu’il reste de ce dossier ».
Le tribunal a mis sa décision en délibéré au 26 septembre prochain.
Christian Lefèvre
(1) Les PRE, spécialisés dans les atteintes en matière d’environnement, ont été instaurés par un décret de 2021. Celui de Clermont-Ferrand dépend de la cour d’appel de Riom et dispose donc, à ce titre, d’une compétence régionale (Puy-de-Dôme, Haute-Loire, Allier et Cantal).(2) Représentés par Mes Lucie Mongin-Archambeaud (Paris), Marion Lambert-Barret (Paris) et Clotilde Cohendy (Saint-Étienne).