Dans le contexte de la crise des agriculteurs et de la campagne électorale pour les européennes, on savait ce passage au Sénat à haut risque pour l’Accord économique et commercial global (AECG, CETA pour le sigle anglais) entre l’Union européenne (UE) et le Canada, ces craintes étaient fondées : le Sénat a retoqué le 21 mars à une large majorité gauche-droite, le projet de Loi du gouvernement autorisant la ratification de traités liés. Tout en affirmant sa volonté de ménager les relations avec le Canada.
Concrètement, et sans entrer dans les détails techniques utilisés pour parvenir à ce résultat, largement commentés par les médias, les Sénateurs (par 211 voix contre 44), ont supprimé l’article 1 de ce projet de Loi, portant sur l’autorisation de ratifier l’AECG / CETA, mais ont adopté l’article 2, autorisant la ratification de l’accord de partenariat stratégique (APS). « Le 13 mars 2024, la Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées avait estimé qu’il convenait, dans un contexte de grande détresse du monde agricole, que la France envoie un signal fort à l’Union européenne en refusant de ratifier l’AECG/CETA, tout en rappelant que le Canada est -et doit rester – un partenaire et un allié de la France », justifie un communiqué du Sénat, qui renvoie donc aux recommandations de sa commission.
« Selon la commission, les bénéfices macroéconomiques de la mise en œuvre provisoire de cet accord depuis 2017 restent limités et ne contrebalancent pas les risques qu’il fait peser sur l’agriculture française », poursuit ce communiqué, citant les différences de modèles d’élevage, le risque d’afflux de produits canadiens en cas de fermeture des marchés américains et asiatiques, l’absence de « clause miroir » dans le secteur agricole… Le communiqué invoque également le regret de cette commission que depuis son adoption par l’Assemblée nationale en 2019, le projet de Loi « n’ait jamais été inscrit à l’ordre du jour du Sénat par le Gouvernement, en dépit de promesses répétées ». De fait, c’est grâce au sénateurs communistes qu’il a été soumis au Sénat, dans le cadre de la « niche » parlementaire de leur groupe.
Si ce vote est un signal très négatif pour l’Union européenne et le Canada, fragilisant les perspectives de ratification des accords (rappelons qu’outre la France, 9 pays membres n’ont toujours pas ratifié le traité), le traité n’est pas encore enterré. Quelle va être la suite ?
Si l’on s’en tient aux règles du processus parlementaire français, à présent, dans le cadre de la navette parlementaire, le projet de Loi doit être à nouveau soumis à l’Assemblée nationale, dont le vote sera prédominant sur celui du Sénat. Mais le contexte a changé depuis 2019, le parti présidentiel Renaissance ayant perdu entre-temps la majorité absolue. Il faudra donc qu’il bâtisse une coalition pour espérer obtenir un vote majoritaire en faveur du projet de Loi.
Le gouvernement, qui pourrait préférer attendre la fin de la période électorale, est maître des horloges jusqu’à un certain point : lun des groupes de l’opposition peut tout aussi bien utiliser une « niche » pour soumettre le texte aux députés. Et dans l’hypothèse où les députés suivraient la voie des sénateurs, rejetant le texte, le gouvernement aurait une toute dernière arme : bloquer la notification de l’échec de la ratification à l’UE, pour gagner du temps. Autant dire que la France est dans une position très inconfortable vis à vis de ses partenaires européens et canadiens.
Une chose est sûre : pas de renégociation possible de ces accords déjà ratifiés par le Canada, les institutions européennes (Conseil et Parlement) et 17 autres pays membres de l’UE, sachant que si un seul pays membre échoue et le notifie à Bruxelles, ils devront être suspendus. Autrement dit, la France est dans une position extrêmement délicate, le pays qui peut faire basculer ces accords dans les oubliettes.
Le Premier ministre Gabriel Attal a choisi, pour son premier déplacement à l’extérieur de l’Union européenne, de se rendre au Canada le 10 avril. Il aura fort à faire pour expliquer à ses interlocuteurs la situation et, surtout, comment il compte sortir la France et l’Union européenne de ce mauvais pas.
C.G
Cet article AECG – CETA : après le rejet du Sénat, quelles perspectives pour la ratification des accords avec le Canada ? est apparu en premier sur Le Moci.