Philippe Jaenada, Au printemps des monstres (Mialet-Barrault)
Un garçon de 11 ans retrouvé mort dans un bois, un corbeau, une coupable qui clame son innocence et une montagne d’incohérences : avant les drames Maddie ou Grégory, il y a eu Luc Taron. Dans cette affaire bâclée par la police au printemps 1964, rien ne colle et tout le monde ment. Cinquante-sept ans après les faits, le limier Jaenada rouvre ce cold case piégeux et plonge dans les eaux troubles de la France des sixties. Vertigineux de noirceur.
Douglas Stuart, Shuggie Bain (Globe)
Un premier roman de l’Écossais Douglas Stuart qui nous précipite dans le Glasgow des années 1980, massacré par la désindustrialisation. Au cœur battant du récit, la relation entre Agnes, jeune mère bousillée par l’alcool et le chômage, et son petit garçon Shuggie, enfant-héros qui se démène pour la sauver. L’apprentissage de Shuggie va passer par la case d’une marginalité supplémentaire, vilain petit canard dans une basse-cour de virilités. Lyrisme délicat, descriptions politico-sociales implacables. Du Dickens mâtiné de Ken Loach.
Clara Ysé, Mise à feu (Grasset)
Déjà musicienne, désormais romancière, Clara Ysé crée pour répondre au silence qu’impose la mort. Fille de la psychanalyste et philosophe Anne Dufourmantelle, disparue il y a quatre ans en voulant sauver de la noyade le fils d’une amie, la jeune femme avait partagé son deuil dans Le monde s’est dédoublé, un EP poétique et déchirant révélé en 2019. Miroir livresque de ce mini-album, Mise à feu magnifie aujourd’hui la brûlure de l’absence dans un texte aux airs de conte magique, intranquille et poignant.
Kawai Strong Washburn, Au temps des requins et des sauveurs (Gallimard)
1995. Hawaii. Lors d’une balade en mer, un enfant tombe à l’eau au milieu des requins. Mais loin de l’attaquer, les prédateurs le ramènent délicatement jusqu’au bateau. Pour la famille, puis pour toute l’île, la légende est scellée : l’enfant est un descendant des dieux. Saga familiale aux atours merveilleux, ce premier roman salué par Obama interroge le poids de la grâce divine et explore les zones d’ombre d’un archipel trop souvent ramené à quelques clichés de carte postale. Étourdissant.
David Diop, La Porte du voyage sans retour (Seuil)
Après Frère d’âme, court texte sur un tirailleur africain dans la guerre de 1914 qui lui a valu le Goncourt des lycéens et pour lequel il a été le premier auteur français à recevoir l’International Booker Prize, Diop évoque ici la traite des Noirs à la fin du XVIIIe siècle. D’une facture plus classique que le précédent, ce périple d’un naturaliste français au Sénégal sur les traces d’une femme mythique croise plusieurs thématiques et peut être lu comme une réflexion sur le langage.
Christophe Donner, La France goy (Grasset)
Dans ce passionnant et énorme livre, Donner remonte aux sources de l’antisémitisme moderne en France, à la fin du XIXe siècle, quand le chemin d’un de ses aïeux croise ceux d’antisémites d’alors. Arrivé à Paris en 1892, son arrière-grand-père Henri Gosset n’a pas rencontré Édouard Drumont, mais fréquenté son disciple Léon Daudet. Aussi foisonnant que glaçant, ce livre qui décortique la paranoïa et l’abjection met en scène un milieu parisien qui semble très actuel, où les postures de pseudo-intellectuels sont déterminées par l’ambition, la médiatisation, les manipulations et la cupidité.
Kevin Lambert, Tu aimeras ce que tu as tué (Le Nouvel Attila)
Une fillette déchiquetée par une déneigeuse, un bambin poussé dans l’enclos des fauves par son père, un autre étouffé par le pénis de son grand-père, directeur d’école. Victimes de la barbarie des adultes, les enfants de Chicoutimi ressuscitent telle une armée de spectres vengeurs pour amorcer l’Apocalypse. Dans un anti-conte féroce, gore et queer, Kevin Lambert, l’incandescent Canadien repéré grâce à Querelle, fustige les dérives et vices de la société québécoise. Terrible.
Frédéric Ploussard, Mobylette (Éditions Héloïse d’Ormesson)
Un trentenaire sur fond de campagne française va de mésaventure en mésaventure dans une vie pas toujours très marrante. Pourtant, Frédéric Ploussard a fait de cette trame un roman hyper-drôle et virtuose, où l’on croise des tas de personnages teintés d’absurde. À lire la bio de l’écrivain né en 1968, qui a été éducateur spécialisé, on sent qu’il twiste les éléments de sa vie, même pas faciles, pour en faire une grande comédie.
Marie Darrieussecq, Pas dormir (P.O.L)
Quand elle signe un essai, c’est toujours brillant. La preuve encore une fois avec Pas dormir : trois ans après son roman La Mer à l’envers, Darrieussecq fait de ses insomnies le motif d’un texte transversal, aussi bien récit autobiographique qu’essai sur les écrivain·es et la littérature, sa psyché et la nuit. Inspirant.
Laura Morante, Quelques indélicatesses du destin (Rivages)
Pour son premier livre publié, la réalisatrice et actrice italienne – inoubliable épouse de Nanni Moretti dans La Chambre du fils – surprend par sa maîtrise. Dans ses textes courts et virtuoses, l’autrice met en scène avec un humour caustique des personnages égarés particulièrement incarnés. Et les situations cruelles qu’elle imagine révèlent judicieusement les travers de nos habitudes et les rôles préfabriqués que peuvent endosser les hommes comme les femmes.
